Lorsque des scaphandriers grecs trouvent en 1900 l’épave d’un navire romain revenant de Grèce, ils sont loin d’imaginer que leur découverte va bouleverser notre connaissance de l’Antiquité. Et pour cause : à l’intérieur du bateau a été mise au jour un mécanisme doté d’engrenages, d’aiguilles, de cadrans… Autre élément étonnant, la présence de signes astronomiques basés sur le cycle lunaire. Pour comprendre la machine il faut donc étudier aussi bien l’Astronomie que les Mathématiques… et garder en tête que ce genre d’engin n’allait apparaître qu’à l’époque de la Renaissance ! Il s’agit donc d’une découverte de premier plan qui amène bien des questions… Est-ce une machine unique ? Qu’est-ce qu’elle nous apporte d’un point de vue historique ? Ces questions sont intéressantes à plus d’un titre, car elles bousculent quelque peu notre vision classique de l’Antiquité.

Un objet complètement inconnu ?

Assurément non. Mais nous n’avons à notre disposition que des écrits. Cicéron raconte qu’il a hérité de sa famille d’une machine bien étrange, et qu’un de ses amis en avait élaboré une autre.

[1,14] XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n’est pas nouveau; je n’en suis pas l’inventeur et ma mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants hommes de notre puys, comme vous ne l’ignorez pas, s’étant rencontré par hasard chez M. Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement semblable; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l’aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J’avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d’œuvre d’Archimède, et j’avoue qu’au premier coup d’oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d’apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m’empêcher de juger qu’il y avait eu dans ce Sicilien un génie d’une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d’atteindre. Gallus nous disait que l’invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n’était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l’invention d’Archimède était l’art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l’horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l’ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé … (Cicéron, de La République, Livre I, Chapitres XI-XV).

Selon les dernières analyses remontant aux années 2000, et les scanners appliqués sur les 82 fragments, il y a 2200 caractères évoquant un texte ésotérique en rapport avec des divinités et le Zodiaque, ainsi qu’un manuel d’utilisation. Quatre cadrans indiquent les positions du Soleil et de la Lune. Il est possible qu’une manivelle actionnait le mécanisme. L’appareil affichait le (moderne) calendrier égyptien ainsi que les signes du Zodiaque. Une aiguille indiquait les jours d’éclipse ! Il s’agissait donc d’une calculatrice astronomique.
Cette merveille de technologie remet en perspective nos connaissances de l’ingénierie antique, éminemment représentées par l’école d’Alexandrie.

L’école d’Alexandrie

On sait peu de choses sur les ingénieurs de l’Antiquité, car visiblement l’art mécanique était méprisé. On les retrouve essentiellement à Alexandrie, haut-lieu de la connaissance. Le fait qu’il ait existé au moins trois machines de type Anticythère prouve que la science des mechanopoioi, appelés aussi machinatores était avancée. Si pour l’instant, aucun autre mécanisme antique n’est parvenu jusqu’à nous, on a cependant des témoignages écrits d’engins perfectionnés. Ainsi Ctésibios d’Alexandrie (IIIe siècle avant J.-C.) aurait inventé des canons à eau tellement puissant qu’ils auraient pu propulser des projectiles et défendre ainsi une ville. Il élabore des automates, un monte-charge hydraulique, ainsi que le premier orgue de l’Histoire, l’hydraule.

Cette fameuse école d’Alexandrie prospère durant plusieurs siècles, et influence largement le monde romain.
L’aqueduc de Barbegal apportait de l’eau aux moulins hydrauliques qui pouvait alimenter tous les habitants de la ville d’Arles !

Entre le Ie et le IIe siècle après J.-C., un génie digne de Leonard De Vinci voit le jour : Héron d’Alexandrie.
Cet ingénieur est l’inventeur de l’Eolipyle, une chaudière fermée qui fait tourner une sphère : il s’agit donc d’une petite « machine à vapeur » archaïque.

Ce dispositif ne peut activer de puissants mécanismes, car pour Héron il s’agit d’une simple expérience pratique…
Beaucoup d’historiens se sont demandés ce qu’il se serait produit si le savant avait réalisé l’importance de cette
découverte, mais il ne faut pas oublier que ce mécanicien ne s’est pas contenté d’inventer une seule machine à vapeur. Il imagine des portes de temple actionnées « automatiquement ». Un réservoir chauffé par le feu, transforme l’eau contenue dans une sphère en vapeur. Lorsque l’eau revient, les colossales portes se referment !

Héron est doté d’un esprit si brillant que rien ne semble l’arrêter, comme on le constate avec ces inventions destinées aux temples. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il imagine une machine distribuant de l’eau bénite… automatiquement ! Lorsqu’on insère une pièce dans le mécanisme, de l’eau coule pour les fidèles éberlués… Héron n’hésite pas à créer un appareil imitant la voix d’un dieu pour rendre des oracles ! Il s’agit en fait d’un oiseau mécanique qui chante ou reste silencieux. Lorsqu’une question est posée, le prêtre enclenche discrètement un levier qui actionne « l’animal » si celui-ci doit gazouiller…

Sur le plan militaire, Héron créé le polybolos, une baliste à culasse mobile qui tire des rafales de projectiles tel un canon mitrailleur gatling du XIXe siècle…

Des machines pour abuser les crédules, des armes… Les inventions de cet ingénieur ne sont pas toutes recommandables ! Mais Héron s’illustre aussi dans le domaine des arts avec un théâtre mécanique doté d’automates en bois. Des sons reproduisent même le bruit du tonnerre…

Selon Aulu-Gelle, Archytas de Tarente (Ve-IVe siècle avant J.-C.) aurait inventé quelque chose d’encore plus surprenant : un oiseau mécanique ! C’est ce qui est décrit dans Les nuits attiques, livre dix :

« Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n’est pas moins étonnat, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu’une colombe de bois, faite par Archytas à l’aide de la mécanique, s’envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l’équilibre, et l’air qu’elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. Je veux, sur un sujet si loin de la vraissemblance, citer les propres mots de Favorinus :  » Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu’elle s’était reposée, elle ne s’élevait plus; le mécanisme s’arrêtait là. » (XII. Prodiges fabuleux attribués fort injustement par Plien l’Ancien au philosophe démocrite, colombe de bois qui volait).

En définitive, la machine d’Anticythère a confirmé le fait que les prodigieux mécanismes décrits dans les ouvrages grecs et romains n’étaient pas que des cathédrales de l’esprit. A l’aide de théories audacieuses, des ingénieurs ont élaboré pendant plusieurs siècles des machines sophistiquées. Une précieuse connaissance s’est transmise au moins à partir de Thalès, pour ensuite se perdre avec la fin du monde païen. Alors que les Byzantins et les Arabes tentent de préserver les traités antiques, l’Europe de l’Ouest oublie presque complètement ce savoir inestimable. Comme je le disais il y a peu , s’il est vrai qu’on a trop souvent dénigré le Moyen-Âge, on ne doit cependant pas minimiser la « science » antique. L’Eolipyle, véritable machine à vapeur, nous enseigne que l’évolutionnisme n’a plus sa place dans l’étude des phénomènes historiques. Aussi dérangeant soit-elle, il faut admettre l’idée que l’Humanité n’a pas progressé selon une courbe exponentielle idéale telle que le grand public l’imagine 1.

A titre personnel, j’ai l’intime conviction que l’Antiquité greco-romaine, véritable âge d’or de l’ingénierie, n’a pas fini de nous surprendre…

1. Les brillantes civilisations pré-colombiennes n’ont ainsi jamais utilisé la roue…

Sources : Itinera Electronica

Pour aller plus loin, un magnifique documentaire sur Héron d’Alexandrie et ses machines

27

jan

par Jean-Sébastien Guillermou

Mes élèves du lycée ont souvent des appréhensions lorsque je leur annonce que nous allons étudier les origines du Christianisme. Ils confondent « catéchisme » et « histoire de la religion », et craignent des leçons de morale ! Pourtant l’étude d’une religion est essentielle en histoire… ou en philosophie. On apprend non seulement à mieux connaître la société dans laquelle on vit (notre fameuse civilisation « judéo-chrétienne »), mais aussi à comprendre nos liens avec d’autres cultures. Que l’on soit croyant, agnostique (« celui qui doute »), athé ou anti-clérical, connaître la religion chrétienne permet d’appréhender le monde… actuel. Preuve en est avec la position de l’Eglise actuelle, qui reproche au film « Avatar » de faire l’apologie de la Nature en tant que « divinité à adorer ».

Certains pensent que l’Histoire  décrédibilise la Bible, avec notamment les mythes d’Adam et Eve, le Déluge… C’est un faux débat. Le but de notre discipline scientifique n’est pas de porter un jugement sur ce qui relève du domaine de la foi, par définition irrationnelle, mais de faire la part des choses entre le mythe, riche en symboles, et ce qui appartient à l’Histoire. Lorsqu’on accomplit cette démarche, que l’on soit croyant ou pas, on peut se rendre compte que l’étude d’une religion est très intéressante.

N’en déplaise aux intégristes du monde entier, un culte ne se crée pas ex nihilo ! Preuve en est avec les « trois religions du Livre », l’ouvrage en question étant… la Bible. Les Hébreux, qui cherchent leur libérateur, le Messie, sont à l’origine d’un ensemble de textes dont la fameuse Torah, des écrits regroupés plus tard sous le titre d’ »Ancien Testament« . C’est ce qu’on appelle la Bible hébraïque. Après la mort du Christ, certains Juifs considèrent que Jésus-Christ est le Messie que l’humanité attendait. Ils décident de raconter l’histoire de sa vie dans le Nouveau Testament : ce sont les premiers chrétiens. La Bible chrétienne est donc la réunion de l’Ancien et du Nouveau Testament. Des siècles plus tard, les Musulmans estiment que Jésus est un prophète, certes important, mais qu’il faut suivre la parole de Mahomet. On trouve néanmoins dans le Coran des éléments communs aux textes chrétiens et hébraïques : ainsi dans l’ouvrage sacré des Musulmans, les trois religions sont considérées comme « célestes », car elle partagent les mêmes mythes fondateurs.

La Bible, une mosaïques de récits, a donc été rédigée pendant plusieurs siècles, dès la plus haute antiquité. Ce qui signifie que cet ouvrage a été « contaminé » dans sa rédaction par des mythes très anciens appartenant à des cultes… polythéistes, « païens ». Pour les Chrétiens, le terme « païen » est un terme péjoratif, il désigne celui qui ne croit pas en Dieu, ou qui croit en une (ou plusieurs) autres divinités. Ironie de l’Histoire, bien avant la rédaction de l’Ancien Testament on retrouve des mythes religieux « suspects » qui ont non seulement influencé les auteurs de la Bible, mais aussi l’Eglise elle-même !

Mythes  babyloniens et sacrifices humains

Plus d’un millénaire avant la naissance de Jésus-Christ on observe dans des civilisations polythéistes les traces de légendes qui nous semblent aujourd’hui bien familières… Dans un mythe babylonien datant (au moins) du XVIIIe siècle avant J.-C., Enlil, le dieu suprême, exaspéré par l’Humanité, décide d’en finir en provoquant le Déluge. Le frère d’Enlil, Ea, avertit un humain, Atrahasis, en lui demandant de construire une arche en bitume qui embarquera toutes les espèces animales. Le Déluge se produit, l’eau montant jusqu’au sommet des montagnes durant 6 jours et 7 nuits. Le calme revenu, Atrahasis se décide à lâcher une colombe, qui revient vers l’arche, faute de terre où se poser. L’humain recommence l’expérience avec une hirondelle, qui revient elle aussi. Finalement Atrahasis lache un corbeau, qui ne retourne pas à l’Arche : les eaux ont donc reculé.
Voici l’exemple spectaculaire d’une influence païenne puisque aucun scientifique ne peut remettre sérieusement en cause l’antériorité de ce mythe que l’on retrouve dans la religion hébraïque, l’Ancien Testament et bien évidemment le Coran :

«Et il fut révélé à Noé: ‘De ton peuple, il n’y aura plus de croyants que ceux qui ont déjà cru. Ne t’afflige pas de ce qu’ils faisaient. Et construis l’arche sous Nos yeux et d’après Notre révélation. Et ne M’interpelle plus au sujet des injustes, car ils vont être noyés’.
Fais-toi une arche en bois résineux, tu la feras en roseaux et tu l’enduiras de bitume
en dedans et en dehors. Voici comment tu la feras : trois cents coudées pour la longueur de l’arche, cinquante coudées pour sa largeur, trente coudées pour sa hauteur. Tu feras à l’arche un toit et tu l’achèveras une coudée plus haute, tu placeras l’entrée de l’arche sur le côté et tu feras un premier, un second et un troisième étages
Et il construisait l’arche. Et chaque fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se moquaient de lui. Il dit : ‘Si vous vous moquez de nous, eh bien, nous nous moquerons de vous, comme vous vous moquez (de nous)’. Et vous saurez bientôt à qui viendra un châtiment qui l’humiliera, et sur qui s’abattra un châtiment durable ! »

Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner (d’eau), Nous dîmes: ‘Charge (dans l’arche) un couple de chaque espèce ainsi que ta famille - sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient’. Or, ceux qui avaient cru avec lui étaient peu nombreux. Et il dit: « Montez dedans. Que sa course et son mouillage soient au nom d’Allah. Certes mon Seigneur est Pardonneur et Miséricordieux ». Et elle vogua en les emportant au milieu des vagues comme des montagnes.
Et Noé appela son fils, qui restait en un lieu écarté (non loin de l’arche): « Ô mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les mécréants ». Il répondit: « Je vais me réfugier vers un mont qui me protègera de l’eau ». Et Noé lui dit: « Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre d’Allah. (Tous périront) sauf celui à qui Il fait miséricorde ». Et les vagues s’interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés.Et il fut dit: « Ô terre, absorbe ton eau! Et toi, ciel, cesse (de pleuvoir)! » L’eau baissa, l’ordre fut exécuté et l’arche s’installa sur le Joûdî, et il fut dit : « Que disparaissent les gens pervers »!» (Coran, XI:36-44).

Un autre personnage commun aux trois religions monothéistes atteste probablement d’une influence païenne : Abraham. Ce héros mythique est célèbre à cause de l’épisode du sacrifice relaté dans la Bible : Dieu décide de mettre son prophète à l’épreuve en lui demandant de sacrifier son fils Isaac, mais au dernier moment un ange vient arrêter la lame, et un bélier est sacrifié à sa place. D’un point de vue historique, cet épisode est intéressant car il nous renseigne sur les coutumes religieuses de ces temps anciens, et nous montre finalement que les sacrifices humains étaient encore courants lors de la rédaction de l’Ancien Testament !  Des sources romaines évoquent le fait qu’un autre peuple sémitique semble les pratiquer encore très tardivement : à Carthage ont été retrouvés des os d’enfants peut-être sacrifiés en l’honneur de la déesse Tanit (les historiens sont partagés). Les Hébreux de la Bible étaient donc largement empreints de paganisme, comme nous le montre le fameux épisode du Veau d’Or : au moment ou Moïse va chercher les Tables de la Loi écrites par Dieu lui-même, le peuple du prophète sombre dans la débauche et se met à vénérer une divinité païenne. Sans aller jusqu’à reconnaître, comme certains historiens, que les Hébreux pratiquaient le monolâtrisme (le fait de reconnaître certains dieux mais de n’en vénérer qu’un), on peut néanmoins raisonnablement penser que la religiosité des gens à cette époque était moins « rigide », ce qui n’est pas sans conséquences dans la rédaction de la Bible.

Le dieu décrit dans l’Ancien Testament, très « humain », n’est donc pas le même que celui du Nouveau : Dans l’Ancien Testament, ou « Ancienne Alliance », on observe un dieu vengeur qui n’hésite pas à provoquer le Déluge pour anéantir la quasi totalité de l’humanité, comme nous l’avons vu précédemment ! C’est un dieu guerrier, jaloux (« tu n’auras pas d’autres dieux que moi », Décalogue), sévère, une divinité à l’image de celles qu’on rencontrait en Egypte ou en Mésopotamie… Dans le Nouveau Testament, basé essentiellement sur la vie de Jésus-Christ,  Dieu est Amour. Jésus est envoyé sur Terre pour racheter les fautes des hommes. On a donc un tout autre message, moins colérique, et plus humaniste, une « Nouvelle Alliance ».

L’influence du paganisme, incontestable sur le fond, ne se retrouve pas seulement dans les textes !

Une Eglise catholique romaine… égyptienne

Comme nous l’avons observé, le poids de traditions très anciennes se retrouve dans la Bible, mais au niveau de la symbolique chrétienne on remarque là aussi des éléments
pour le moins troublant. Dans un livre célèbre intitulé « le fabuleux héritage de l’Egypte antique » de l’égyptologue Christianne Desroches Noblecourt,  la savante a montré à maintes reprises combien notre civilisation avait été marquée par l’Egypte antique : dans la tradition de l’Ancien Testament, les Hébreux se retrouvent en esclavage au pays des pharaons. D’un point de vue historique la Bible était la principale de connaissance
de cette culture antique avant que Champollion ne déchiffre les hiéroglyphes, et pour cause ! Ainsi le précepte égyptien :

« Ne faites pas d’excès dans la recherche du gain (pour) que vos besoins soient assurés. Si des richesses vous sont assurées par le vol, elles ne passeront pas la nuit avec vous. A la tombée du jour, elles ne sont pas dans votre maison : on peut voir leurs places mais elles n’y sont pas ! Elles sont fait des ailes comme des oies, et on volé vers le ciel ! »

devient le proverbe biblique :

« Ne te donne pas de peine, pour t’enrichir cesse tes pillages ! Tes yeux s’illuminent dessus, qu’elles ont déjà disparu ! Parce que les richesses se font d’elles-même des ailes, comme un aigle qui vole vers les cieux » (Israel).

Cette influence égyptienne se retrouve à tous les niveaux, comme l’a souligne Christiane Desroches Noblecourt en comparant la procession du pharaon avec celle du pape :

Ces similitudes sur la forme sont loin d’être surprenantes quand on sait que l’Egypte a été la première civilisation à tenter le monothéïsme, un expérience initiée par le pharaon Akhenaton au… XIVe siècle avant J.-C. ! Le culte d’Aton ne survécut pas à la mort de son instigateur, car les mentalités égyptiennes n’étaient pas prêtes à croire en un seul dieu, mais des siècles plus tard le Christianisme allait prendre sa revanche et finalement triompher en Egypte : à l’heure actuelle il existe encore une importante communauté chrétienne copte en Egypte.

Le Christianisme s’est donc nourri d’antiques cultes polythéistes pour se diffuser ensuite sur l’ensemble du monde connu, conformément à sa vocation d’universalité : même un esclave peut être un bon croyant. Mais en dehors de ce progressisme  la nouvelle religion officielle de l’Empire romain est de plus en plus rigide, car elle ne tolère pas les autres confessions. Durant la fin de l’Antiquité, l’Eglise combat les hérésies et autres cultes concurrents depuis le concile de Nicée de 315 après J.-C. Signe de ce durcissement des mentalités,  en 415 après J.-C., la philosophe et mathématicienne Hypathie est tuée par des chrétiens fanatiques à Alexandrie (voir à ce propos le récent film « Agora »). Ironie du sort, l’Egypte, terre des dieux à tête d’animaux durant des millénaires,  voit son temple d’Isis à Philae fermé en 550 après J.-C… Jusqu’à aujourd’hui le Saint Siège a combattu le paganisme avec vigueur, mais d’un point de vue critique le Christianisme a incontestablement des racines païennes, ne serait-ce que par son plus éminemment symbole,  la croix, héritage de l’ankh égyptien !


6

jan

par Jean-Sébastien Guillermou

Philippe l'Arabe

Il est toujours intéressant de constater dans le monde des médias combien on sous-estime l’apport de personnalités arabes dans l’histoire de l’Occident. A la télévision, on a tendance à parler des situations de crise au Moyen-Orient, du choc des civilisations, de terrorisme… mais on oublie souvent d’évoquer les personnalités ayant servi de trait d’union à ces deux cultures.

A l’époque de l’Empire romain, l’Arabie forme une province dont la capitale est la magnifique Pétra (106 après J.-C.). Les frontières de ce territoire correspondent à la Jordanie associée à la Syrie. En 212 après J.-C. survient un événement d’une importance capitale : l’édit de Caracalla, une loi qui permet à tous les habitants de l’Empire d’obtenir la citoyenneté romaine ! D’influentes familles arabes l’acquièrent ainsi, et peuvent désormais accéder au cursus honorum. Un notable syrien de l’ordre équestre se distingue de part son ascension sociale remarquable : Philippe.

Une carrière fulgurante

De ses origines on ne sait pas grand chose. Né vers 204 non loin de Damas, Marcus Julius Philippus est ce que on appelle un haut magistrat car il accède au titre envié de préfet du prétoire. Après la mort de Gordien III, tué par les Perses à Misikhè (Falloujah, Irak,) Philippe est élu empereur : « Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus« . Cette fulgurante ascension n’avait rien de surprenante à l’époque des « empereurs-soldats ». En effet, durant le Troisième Siècle, les temps sont rudes : l’imperator est désigné… par ses légionnaires car il est désormais, et avant tout, un chef de guerre. Philippe s’inscrit dans cette lignée en menant des expéditions militaires, preuve en est avec sa campagne contre les Carpes du Danube, un peuple barbare originaire de l’actuelle Roumanie. Pour financer ces guerres, la pression fiscale est forte : le frère de Philippe, qui gouverne l’Orient, la partie la plus riche de l’Empire, lève des impôts de moins en moins populaires. Ces tensions amènent une grave crise puisque deux autres « empereurs » contestent l’autorité de Philippe !

Le temps des contestations

Il s’agit d’abord de Jopatanius, qui ne supporte plus l’idée que le frère de Philippe ménage les Perses. L’empereur gère habilement la contestation en nommant son parent dans une autre province ! Les légionnaires de Jopatanius se retournent alors contre leur chef et l’assassinent… Plus tard, un autre usurpateur se rebelle : il s’agit de Pacatianus, un sous-officier. Philippe, psychologiquement touché, évoque publiquement devant le Sénat l’idée d’abdiquer, mais un sénateur, Dèce, lui demande de rester au pouvoir. Un signe pour le Sénat, qui considère probablement que le comportement de l’empereur est un aveu de faiblesse, indigne d’un chef de guerre. Le souverain envoie alors Dèce dans les Balkans pour contenir les terribles Goths. En cas de succès, cette mission pourrait convaincre le Sénat que Philippe est toujours capable de gouverner l’empire. Mais entre-temps Pacatianus est lui aussi tué par ses propres hommes ! En arrivant sur place Dèce est alors élu contre son gré… empereur par les soldats de feu Pacatianus, ceux-ci ayant peur d’être exécutés pour leur rébellion ! Ces militaires espèrent aussi probablement s’enrichir… Le nouvel usurpateur fait envoyer des messagers à Philippe pour le rassurer, mais l’empereur se décide à partir à la rencontre de l’ancien sénateur avec plusieurs armées. Apprenant la  nouvelle, Dèce marche à son tour avec ses soldats vers l’empereur : la bataille a lieu près de Veronne durant l’automne 249.

Dèce était-il sincère avec Philippe, ou bien l’a-t-il manipulé ? On peut imaginer qu’à partir du moment où le sénateur a été nommé « empereur », il n’avait pas d’autres choix que d’obéir à ses hommes ou de périr assassiné comme bon nombre de chefs de guerre à cette époque… Peut-être que ce nouvel homme fort prit goût au pouvoir, sans pour autant avoir planifié cette insurrection.

La bataille a lieu. Les troupes de Dèce, en infériorité numérique, sont néanmoins des unités d’élite habituées à combattre dans les Balkans : Philippe, alors âgé de 45 ans, périt lors de la bataille dans des circonstances assez troubles, sans que l’on sache si c’est l’arme à la main, ou sous les lames de ses hommes… Peu de temps après, le fils de Philippe est assassiné par la garde prétorienne : Dèce est désormais le nouvel empereur des Romains.

Un homme de paix

Dans un tel contexte de crise, Philippe a laissé derrière l’image d’un homme de paix. Même si ses victoires militaires sur les Carpes et les Germains sont loin d’être négligeables comme en atteste sa titulature à sa mort :

Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus Germanicus Maximus Carpicus Maximus, Pontifex Maximus, Tribuniciae Potestatis VI, Imperator VI, Consul III.

Philippe était plus un fin politique qu’un grand militaire  : suite à la déroute de Gordien III à Misikhè, il avait ainsi obtenu des Perses le retour des prisonniers romains tout en concluant un traité. Un statu quo jugé inacceptable pour bon nombre de Romains. Il géra habilement le soulèvement de Jopatanius en évitant de recourir à la répression. Ses états d’âme, lorsqu’il émit l’idée de renoncer au pouvoir devant le Sénat, constituent sûrement la preuve d’un empereur humain, plus vertueux que bon nombre d’ »empereurs-soldats » du Troisième Siècle. Des états d’âme liés sa religion ?

Aujourd’hui encore, les historiens débattent de la confession de Philippe, suite à ce témoigne d’Eusèbe de Césarée :

« On rapporte qu’il aurait souhaité faire acte de Chrétien et, le jour de la dernière vigile de Pâques, partager les prières de l’Église avec la foule des fidèles. Mais celui qui présidait alors la cérémonie ne lui permit pas d’entrer avant qu’il se soit confessé et qu’il se soit compté lui-même parmi ceux qui se reconnaissaient coupables et occupaient la place de pénitence. Car, s’il ne faisait pas cela, il ne le recevrait jamais, à cause des nombreux crimes qu’il avait commis. On dit qu’il obéit de bonne grâce à ces injonctions, manifestant par sa conduite une crainte de Dieu sincère et pieuse. »

En Arabie il existait à l’époque une importante communauté chrétienne, il est donc possible que Philippe ait pu être initié au christianisme à titre privé, même si on n’en aura probablement jamais la preuve incontestable.

Homme de bon goût, cet empereur a eu la bonne idée de faire embellir la Syrie, le Liban, notamment les cités de Bosra, d’Héliopolis et… Philippopolis. Philippe l’Arabe, comme on a commencé à l’appeler au IVe siècle, a ainsi contribué à léguer un magnifique héritage archéologique classé aujourd’hui Patrimoine de l’Humanité.

Le Philippeion à Philippopolis

Philippeion

Le temple de Bacchus à Héliopolis

Le temple de Bacchus

Il est intéressant de constater que la religion a toujours occupé une place importante dans la guerre, et ce, dès l’Antiquité. A Rome, le moindre conflit doit suivre des règles immuables, car on ne plaisante pas avec les dieux ! Ces lois sont aussi curieuses que nombreuses…

Des interdits immuables

La cité de Rome est délimitée par le pomerium, « l’enceinte sacrée » : dans la ville les armes sont formellement interdites. Avant de déclencher une guerre il faut consulter les dieux selon le rituel des augures, les hommes qui interprètent les vols des oiseaux. Parfois on fait appel aux haruspices, des prêtres d’origine étrusque qui analysent les entrailles des victimes. Les pulluaires, qui accompagnent les chefs de guerre, mesurent l’appétit des poulets sacrés !

Ces pratiques qui peuvent paraître absurdes, ne constituent pas la preuve que les Romains étaient des gens crédules. Mais force est de constater que pour ce peuple la religion n’a pas la même signification que la nôtre : chaque citoyen doit rendre hommage aux dieux de la cité à un moment ou un autre de sa vie, que ce soit par les prières ou les sacrifices. Ne pas accomplir ce devoir est un crime grave qui peut être passible de la peine de mort, car en cas d’offense aux divinités c’est l’ensemble de la communauté qui est puni.

Certains généraux ne tiennent pas compte de ces avertissements, comme le consul Publius Claudius Pulcher dont l’histoire est restée célèbre : juste avant une bataille navale contre les Carthaginois, les pulluaires informent Publius que les poulets ne veulent pas s’alimenter, ce qui est donc un mauvais signe. Le consul, en colère, précipite alors les volatiles à la mer « pour qu’ils boivent puisqu’ils ne peuvent pas manger ». S’en suit une bataille qui se solde… par la défaite. Mais la religion n’a pas qu’un rôle négatif dans le déroulement d’une guerre car ponctuellement les dieux peuvent venir en aide aux Romains… en échange d’une contre-partie.

La magie guerrière des Romains

Dans certaines batailles, la situation est parfois désespérée. Le seul moyen pour l’emporter est d’invoquer des puissances surnaturelles terribles… Inutile de dire qu’on n’emploie pas ces forces à la légère ! Il existe plusieurs pratiques selon l’effet recherché. Pour vaincre les Etrusques, les Romains utilisent le rituel de l’evocatio : on essaye de convaincre la divinité adverse de ne plus protéger l’ennemi en échange de promesses… et de cadeaux. C’est précisément ce qui se passe avec la cité étrusque de Véies, tombée après des années de siège : plus tard les Romains font construire un temple encore plus beau à Rome en l’honneur de Junon, comme promis !

Il existe un rituel plus sombre, et beaucoup plus rare, qui nécessite un vrai sacrifice humain : la devotio. Le général promet aux dieux sa vie en échange de la victoire, comme le légendaire héros Marcus Curtius qui se jeta dans un abîme avec son cheval. Les membres de la famille des Decii Mures utilisent plusieurs fois cette sinistre pratique, en se précipitant au coeur de la mêlée, comme contre Pyrrhus à la bataille d’Ausculum… Autre moment épique célèbre avec Publius Decius Mus, qui se dévoue contre les Latins au pied du Vésuve près du fleuve Véséris. Mais les militaires ne sont pas les seuls à supplier  les dieux, loin de là.

lacus_curtius1

Supplications, Sybille et Pythie

Comme on peut s’en douter, le peuple des citoyens participe largement à des cérémonies. Lorsque la cité est menacée, les Romains, couronnés de branches de laurier, « supplient » les dieux sur les lieux de culte… et les remercient de la même façon en offrant de l’encens et du vin. Lorsqu’un présage grave est annoncé, on consulte les fameux livres sybillins, des écrits précieusement conservés au Capitole depuis des siècles. La tradition raconte que c’est le roi étrusque Tarquin le Superbe qui les aurait achetés à une vieille femme. Ces textes, conservés par deux prêtres, sont aussi lus lorsqu’on cherche une réponse à un problème donné. Exemple :

« Si le roi d’Egypte vient vous demander du secours, ne lui refusez pas votre amitié, mais ne lui accordez aucune armée, sinon vous aurez à supporter des fatigues et des dangers. »

Les phrases sont donc interprétées, ce qui n’est pas sans conséquences. Ainsi lorsque César annonce qu’il projette d’organiser une campagne militaire contre les terribles Parthes, le Sénat apprend dans les ouvrages sybillins que « seul un roi pourra vaincre les Parthes« . Cela confirme donc que les sénateurs doivent à tout prix se débarrasser du futur tyran… Les livres sont tellement confus que Cicéron écrit « qu’on peut en faire ce qu’on veut », ce qui explique aujourd’hui pourquoi on utilise le mot sybillin quand on évoque quelque chose d’incompréhensible.

Il arrive que Rome envoie une ambassade à l’oracle d’Apollon à Delphes, pour demander un conseil à la Pythie, une vierge assise sur un trépied qui s’exprime en vers après avoir mâché des lauriers. Deux prêtres interprètent les paroles de la Pythie, cachée dans l’obscurité… L’oracle est prise très au sérieux puisque après la défaite de Cannes contre les Carthaginois, les Romains envoient une délégation à Delphes pour demander conseil !

pythie

Comme nous l’avons constaté, les Romains n’étaient pas des intégristes religieux, mais plutôt des gens très superstitieux qui respectaient de nombreuses traditions pour protéger la cité, très souvent en guerre. Ironie de l’Histoire, lorsque les premiers chrétiens refusèrent de procéder à des sacrifices en l’honneur de l’empereur, ils furent perçus par les Romains comme de dangereux fanatiques remettant en cause l’ordre public ! Circonstance aggravante, les adeptes du Christ ne croyaient qu’en un seul dieu, et méprisaient tous les autres… Il n’en fallait pas plus pour qu’ils soient persécutés et tournés en ridicule, comme dans ce graffiti où l’on peut lire « Alexamanos adore son dieu »…

jesus_ane