11

août

par Jean-Sébastien Guillermou

Me voilà de retour après une longue absence, la faute à un roman qui me prend beaucoup de temps…

Il y a peu un ami me demandait quelle était la contribution des scientifiques arabo-musulmans dans la Science médiévale. En substance, la question était de savoir si cette civilisation avait régressé à partir du XIIe siècle. Peut-on mettre en doute l’importance de ces savants ? N’aurait-on pas surestimé le savoir des Arabes, qui proviendrait uniquement des érudits grecs et romains ?

C’est une question intéressante. L’année dernière, j’avais évoqué la formidable avance technique des Byzantins. Les Arabes bénéficiaient eux aussi d’un savoir considérable hérité, il est vrai, de la culture gréco-romaine. Au Moyen-Âge, si l’on exclue les Byzantins, l’Europe de l’Ouest connait une certaine stagnation sur le plan scientifique. Ainsi, en Europe on a perdu l’ensemble de la géographie de Ptolémée ! Seule une infime partie des textes de Platon furent traduits en Latin…

Le but de ce modeste article est de démontrer que dans le monde arabe,  cette connaissance précieuse est non seulement conservée, mais aussi dépassée après le XIIe siècle.

Je vais évoquer différentes disciplines pour justifier mes propos… Par avance, je tiens à m’excuser auprès des scientifiques qui liront ces lignes : j’ai volontairement vulgarisé  l’apport des érudits arabes, pour la simple et bonne raison que le sujet nécessiterait bien plus qu’un simple article… J’invite donc les curieux qui veulent aller plus loin à consulter les ouvrages, nombreux, qui traitent de ces intellectuels.

Une incursion dans l’Aéronautique

En 875 l’humaniste Abbas Ibn Firnas saute d’une tour avec des ailes en bois recouvertes de plumes. Il se fracture les deux jambes mais entre dans l’Histoire comme étant l’un des premiers hommes à avoir essayé de voler. Son exploit fut si retentissant qu’aujourd’hui un cratère de la Lune porte son nom…

Le développement de la science mathématiques

Au IXe siècle, Al-Khawarizmi, surnommé « le père de l’Algèbre », écrit un livre intitulé Al-Jabr dans lequel il traite d’une inconnue symbolisée par… « l’arithme ». Il se base sur Diophante d’Alexandrie, et popularise les « chiffres arabes », qui sont en réalité indiens. Des centaines d’années plus tard, le savant Fibonaci reprend ces chiffres pour travailler sur la célèbre suite qui porte son nom.

Une centaine d’année plus tard, Al-Khawarizmi, Ibrahim Ibn Sinan prouve que la surface d’un segment de paraboles représente les quatre tiers de l’aire du triangle inscrit. Il invente une méthode pour élaborer des cadrans solaires de grande qualité.

Au XVe siècle, le Persan Al-Kachi calcule seize décimales du nombre Pi. Il faut attendre deux cent ans pour obtenir une plus grande précision. L’Algèbre n’est pas en reste : entre le IXe et le Xe siècle, Al-Hasib Al Misri résout une équation du second degrés, et  influence lui aussi Fibonacci.

Le IXe siècle, l’Age d’Or de l’Astronomie arabe ?

C’est une question qui mérite d’être posée tant cette période semble être un moment clef dans le développement de l’Astronomie. A cette époque, Al-Battani corrige les calculs de Ptolémée, grand savant de l’Antiquité, oublié par l’Occident. Il s’illustre avec le calcul de l’inclinaison de l’axe terrestre, ainsi que de brillants travaux mathématiques.

Les années 800 sont décidément fastes pour l’astronomie, puisque le savant persan Al-Marwazi est le premier érudit à mesurer de manière efficace une éclipse de Soleil.

Al-Soufi (903-986) découvre le grand nuage de Magellan, calcule avec précision l’année tropique et décrit étoiles et constellations dans son « Livre des étoiles fixes ». Un cratère de la Lune porte son nom.

La mécanique classique

L’ingénieur irakien Al-Djazari (1135-1206) développe les pompes hydrauliques ainsi que les automates, des machines bien connues à l’époque antique. Au XVIe siècle, Taqui Al-Din s’inscrit dans cette tradition en inventant des pompes à eau très perfectionnées, peut-être les plus élaborées de leur temps.

Histoire-Géographie

Durant le XIe siècle, Al-Bakri a décrit l’Afrique du Nord et le Soudan, l’Europe, la Péninsule Arabique.

Al Idrissi (1100-1165) devient le géographe officiel du  normand Roger II, roi de Sicile. Il se base sur la géographie de Ptolémée,  et décrit la Sicile, l’Europe, l’Afrique.

Mais on ne peut évoquer décemment l’Histoire-Géographie sans parler du Tunisien ‘Ibn-Khaldoun (1332-1406), précurseur de la Sociologie, qui insiste sur l’importance des sources. Cet intellectuel s’interroge de manière très moderne sur la philosophie de l’Histoire.

Optique, Chimie et remise en cause de l’héritage classique

L’Irakien Alhazen (965-1039) est le premier à mettre en défaut la théorie de Ptolémée selon laquelle l’oeil émet de la lumière. Il affirme que la Lune ne fait que réfléchir la lumière du Soleil, analyse les lentilles grossissantes, et mène ses expériences dans une chambre noire. Ce savant écrit plusieurs traités. Aujourd’hui, un astéroide porte son nom.

Chimie, Alchimie… Ne devrait-on pas plutôt évoquer « l’Al-Chimie » ! Dès le VIIIe siècle, Jabir Ibn Hayyan découvre l’acide chlorhydrique, l’acide nitrique ainsi que d’autres substances de premier plan.

Médecine et tradition orientale

Rhazès (865-925) est le premier médecin à ouvrir l’hôpital aux pauvres. Il insiste sur l’importance des questions posées aux patients, l’observation. Son hopital à Bagdad disposait d’un service pour les malades mentaux. Rhazès étudiait non seulement la neurologie, mais aussi des maux tels que la petite vérole.

Abu Al-Qasim, intellectuel andalou, fonde au  Xe siècle la chirurgie moderne par le biais d’une encyclopédie médicale en… 30 volumes ! Il décrit comment opérer des ligatures artérielles, réduire des luxations… Son savoir fera référence jusqu’à la Renaissance.

Plus tard Ibn Nafis, savant syrien du XIIIe siècle, découvre la circulation pulmonaire. Ses écrits ne parviennent en Europe qu’au XVIe siècle.

Les grands érudits

Bien que le terne ne me satisfait pas, je désigne ainsi les savants qui ont accompli des découvertes majeures dans plusieurs disciplines. De part leur capacité à s’intéresser à des champs de connaissance aussi complexes que variés, ils sont les authentiques précurseurs des humanistes de la Renaissance.

Le philosophe Al-Kindi (803-873), aussi doué pour les mathématiques que pour la médecine, la musique ou encore l’astronomie, étudie l’harmonie, et devine qu’un son produit une onde perceptible.

Abu I-Wafa est lui aussi un astronome doublé d’un mathématicien. Au Xe siècle il développe la trigonométrie plane et sphérique.

Le persan Al-Biruni (973-1048) s’intéresse à l’Astronomie, la Philosophie, les Mathématiques, l’Histoire, la Médecine… Il connait parfaitement l’histoire de l’Inde, et sa culture, mais parle couramment le Grec, le Syriaque, l’Arabe. En astronomie ses travaux sont remarquables car il affirme que la Terre émet une « force d’attraction ». Au XVIe siècle, on utilisait encore ses écrits pour calculer le rayon du globe terrestre. Un cratère porte son nom.

Le mathématicien et astronome Omar Khayyâm (1048-1131) invente un calendrier à année bissextile plus précis que le calendrier grégorien.

Au XIIIe siècle, Nasir Ad-Din At-Tusi est l’astronome perse le plus avancé de son temps. Ses travaux influence Copernic. Il affirme que l’hérédité est un facteur biologique important. En chimie, il écrit que la matière change mais ne disparait pas. Il est l’auteur de la formule mathématiques de sinus.

Enfin on ne peut passer sous silence le génie de Sinan. Certes il est turc, mais il est au XVIe siècle le  grand architecte de l’Empire Ottoman. Il forme Sedefhar Mehmet Aga, qui réalise la célèbre Mosquée bleue.

Un leg fait à l’Humanité

Les Arabes ont donc partagé avec les Byzantins un fabuleux héritage, le savoir gréco-romain. Mais ils ont aussi offert à l’Occident les chiffres indiens. Ces savants ont joué un rôle crucial dans la transmission d’une connaissance précieuse, qu’ils ont sublimé, préparant ainsi la Renaissance. Quel plus beau leg pour l’Humanité ?

En définitive, depuis trente ans on a largement réhabilité le Moyen-Âge, et ce n’est que justice. Mais force est de constater qu’à l’époque des Croisades, le monde musulman est souvent effaré par un Occident perçu comme barbare. Je terminerai avec cet éloquent témoignage d’un médecin arabe :

« On m’amena un cavalier sur la jambe duquel s’était formé un abcès, et une femme attaquée par une fièvre hectique. Sur l’abcès du cavalier j’avais posé un emplâtre vésicatoire; l’abcès s’ouvrit et prit un cours favorable. A la femme je prescris une diète et avec une alimentation végétale son état s’était amélioré. Vint alors un médecin Franc et dit « Celui-là ne saura pas vous guérir, il n’y comprend rien ». Se tournant alors vers le cavalier il lui posa la question suivante : « Que préfères-tu? Vivre avec une jambe ou mourir avec deux jambes? Le cavalier lui répond : « Vivre avec une jambe ». Alors le médecin Franc dit : « Cherchez-moi un cavalier bien fort, avec une hache bien aiguisée ». Le cavalier avec la hache arrive, j’étais encore présent. Le médecin pose alors la jambe du patient sur un billot et ordonne au cavalier : « Tranche-lui la jambe d’un seul coup de hache ». Le cavalier lui assène un coup pendant que je le voyais faire. Malgré cela, la jambe n’était pas encore sectionnée. Il asséna un deuxième coup, alors la moelle de la jambe se mit à couler, et l’infortuné mourut sur l’instant. Ensuite, le médecin examina la femme et dit : « Cette femelle a un diable dans le corps qui s’est amouraché d’elle. Coupez-lui les cheveux ». On les lui coupe, et elle se mit à manger de nouveau des aliments de ses compatriotes. Alors sa fièvre monta, et le médecin dit : « Le Diable monte maintenant à sa tête ». Avec ces mots il s’empara du rasoir, lui fit une entaille au cuir chevelu en forme de croix jusqu’à ce que l’os du crâne se dénuda, et le frotta alors avec du sel. La femme mourut au bout d’une heure. Sur ce, je m’en allai, après avoir appris de leur Art de guérir ce qui jusqu’alors m’était inconnu ».

Pour aller plus loin : Amin Malouf, les Croisades vues par les Arabes.

27

jan

par Jean-Sébastien Guillermou

Mes élèves du lycée ont souvent des appréhensions lorsque je leur annonce que nous allons étudier les origines du Christianisme. Ils confondent « catéchisme » et « histoire de la religion », et craignent des leçons de morale ! Pourtant l’étude d’une religion est essentielle en histoire… ou en philosophie. On apprend non seulement à mieux connaître la société dans laquelle on vit (notre fameuse civilisation « judéo-chrétienne »), mais aussi à comprendre nos liens avec d’autres cultures. Que l’on soit croyant, agnostique (« celui qui doute »), athé ou anti-clérical, connaître la religion chrétienne permet d’appréhender le monde… actuel. Preuve en est avec la position de l’Eglise actuelle, qui reproche au film « Avatar » de faire l’apologie de la Nature en tant que « divinité à adorer ».

Certains pensent que l’Histoire  décrédibilise la Bible, avec notamment les mythes d’Adam et Eve, le Déluge… C’est un faux débat. Le but de notre discipline scientifique n’est pas de porter un jugement sur ce qui relève du domaine de la foi, par définition irrationnelle, mais de faire la part des choses entre le mythe, riche en symboles, et ce qui appartient à l’Histoire. Lorsqu’on accomplit cette démarche, que l’on soit croyant ou pas, on peut se rendre compte que l’étude d’une religion est très intéressante.

N’en déplaise aux intégristes du monde entier, un culte ne se crée pas ex nihilo ! Preuve en est avec les « trois religions du Livre », l’ouvrage en question étant… la Bible. Les Hébreux, qui cherchent leur libérateur, le Messie, sont à l’origine d’un ensemble de textes dont la fameuse Torah, des écrits regroupés plus tard sous le titre d’ »Ancien Testament« . C’est ce qu’on appelle la Bible hébraïque. Après la mort du Christ, certains Juifs considèrent que Jésus-Christ est le Messie que l’humanité attendait. Ils décident de raconter l’histoire de sa vie dans le Nouveau Testament : ce sont les premiers chrétiens. La Bible chrétienne est donc la réunion de l’Ancien et du Nouveau Testament. Des siècles plus tard, les Musulmans estiment que Jésus est un prophète, certes important, mais qu’il faut suivre la parole de Mahomet. On trouve néanmoins dans le Coran des éléments communs aux textes chrétiens et hébraïques : ainsi dans l’ouvrage sacré des Musulmans, les trois religions sont considérées comme « célestes », car elle partagent les mêmes mythes fondateurs.

La Bible, une mosaïques de récits, a donc été rédigée pendant plusieurs siècles, dès la plus haute antiquité. Ce qui signifie que cet ouvrage a été « contaminé » dans sa rédaction par des mythes très anciens appartenant à des cultes… polythéistes, « païens ». Pour les Chrétiens, le terme « païen » est un terme péjoratif, il désigne celui qui ne croit pas en Dieu, ou qui croit en une (ou plusieurs) autres divinités. Ironie de l’Histoire, bien avant la rédaction de l’Ancien Testament on retrouve des mythes religieux « suspects » qui ont non seulement influencé les auteurs de la Bible, mais aussi l’Eglise elle-même !

Mythes  babyloniens et sacrifices humains

Plus d’un millénaire avant la naissance de Jésus-Christ on observe dans des civilisations polythéistes les traces de légendes qui nous semblent aujourd’hui bien familières… Dans un mythe babylonien datant (au moins) du XVIIIe siècle avant J.-C., Enlil, le dieu suprême, exaspéré par l’Humanité, décide d’en finir en provoquant le Déluge. Le frère d’Enlil, Ea, avertit un humain, Atrahasis, en lui demandant de construire une arche en bitume qui embarquera toutes les espèces animales. Le Déluge se produit, l’eau montant jusqu’au sommet des montagnes durant 6 jours et 7 nuits. Le calme revenu, Atrahasis se décide à lâcher une colombe, qui revient vers l’arche, faute de terre où se poser. L’humain recommence l’expérience avec une hirondelle, qui revient elle aussi. Finalement Atrahasis lache un corbeau, qui ne retourne pas à l’Arche : les eaux ont donc reculé.
Voici l’exemple spectaculaire d’une influence païenne puisque aucun scientifique ne peut remettre sérieusement en cause l’antériorité de ce mythe que l’on retrouve dans la religion hébraïque, l’Ancien Testament et bien évidemment le Coran :

«Et il fut révélé à Noé: ‘De ton peuple, il n’y aura plus de croyants que ceux qui ont déjà cru. Ne t’afflige pas de ce qu’ils faisaient. Et construis l’arche sous Nos yeux et d’après Notre révélation. Et ne M’interpelle plus au sujet des injustes, car ils vont être noyés’.
Fais-toi une arche en bois résineux, tu la feras en roseaux et tu l’enduiras de bitume
en dedans et en dehors. Voici comment tu la feras : trois cents coudées pour la longueur de l’arche, cinquante coudées pour sa largeur, trente coudées pour sa hauteur. Tu feras à l’arche un toit et tu l’achèveras une coudée plus haute, tu placeras l’entrée de l’arche sur le côté et tu feras un premier, un second et un troisième étages
Et il construisait l’arche. Et chaque fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se moquaient de lui. Il dit : ‘Si vous vous moquez de nous, eh bien, nous nous moquerons de vous, comme vous vous moquez (de nous)’. Et vous saurez bientôt à qui viendra un châtiment qui l’humiliera, et sur qui s’abattra un châtiment durable ! »

Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner (d’eau), Nous dîmes: ‘Charge (dans l’arche) un couple de chaque espèce ainsi que ta famille - sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient’. Or, ceux qui avaient cru avec lui étaient peu nombreux. Et il dit: « Montez dedans. Que sa course et son mouillage soient au nom d’Allah. Certes mon Seigneur est Pardonneur et Miséricordieux ». Et elle vogua en les emportant au milieu des vagues comme des montagnes.
Et Noé appela son fils, qui restait en un lieu écarté (non loin de l’arche): « Ô mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les mécréants ». Il répondit: « Je vais me réfugier vers un mont qui me protègera de l’eau ». Et Noé lui dit: « Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre d’Allah. (Tous périront) sauf celui à qui Il fait miséricorde ». Et les vagues s’interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés.Et il fut dit: « Ô terre, absorbe ton eau! Et toi, ciel, cesse (de pleuvoir)! » L’eau baissa, l’ordre fut exécuté et l’arche s’installa sur le Joûdî, et il fut dit : « Que disparaissent les gens pervers »!» (Coran, XI:36-44).

Un autre personnage commun aux trois religions monothéistes atteste probablement d’une influence païenne : Abraham. Ce héros mythique est célèbre à cause de l’épisode du sacrifice relaté dans la Bible : Dieu décide de mettre son prophète à l’épreuve en lui demandant de sacrifier son fils Isaac, mais au dernier moment un ange vient arrêter la lame, et un bélier est sacrifié à sa place. D’un point de vue historique, cet épisode est intéressant car il nous renseigne sur les coutumes religieuses de ces temps anciens, et nous montre finalement que les sacrifices humains étaient encore courants lors de la rédaction de l’Ancien Testament !  Des sources romaines évoquent le fait qu’un autre peuple sémitique semble les pratiquer encore très tardivement : à Carthage ont été retrouvés des os d’enfants peut-être sacrifiés en l’honneur de la déesse Tanit (les historiens sont partagés). Les Hébreux de la Bible étaient donc largement empreints de paganisme, comme nous le montre le fameux épisode du Veau d’Or : au moment ou Moïse va chercher les Tables de la Loi écrites par Dieu lui-même, le peuple du prophète sombre dans la débauche et se met à vénérer une divinité païenne. Sans aller jusqu’à reconnaître, comme certains historiens, que les Hébreux pratiquaient le monolâtrisme (le fait de reconnaître certains dieux mais de n’en vénérer qu’un), on peut néanmoins raisonnablement penser que la religiosité des gens à cette époque était moins « rigide », ce qui n’est pas sans conséquences dans la rédaction de la Bible.

Le dieu décrit dans l’Ancien Testament, très « humain », n’est donc pas le même que celui du Nouveau : Dans l’Ancien Testament, ou « Ancienne Alliance », on observe un dieu vengeur qui n’hésite pas à provoquer le Déluge pour anéantir la quasi totalité de l’humanité, comme nous l’avons vu précédemment ! C’est un dieu guerrier, jaloux (« tu n’auras pas d’autres dieux que moi », Décalogue), sévère, une divinité à l’image de celles qu’on rencontrait en Egypte ou en Mésopotamie… Dans le Nouveau Testament, basé essentiellement sur la vie de Jésus-Christ,  Dieu est Amour. Jésus est envoyé sur Terre pour racheter les fautes des hommes. On a donc un tout autre message, moins colérique, et plus humaniste, une « Nouvelle Alliance ».

L’influence du paganisme, incontestable sur le fond, ne se retrouve pas seulement dans les textes !

Une Eglise catholique romaine… égyptienne

Comme nous l’avons observé, le poids de traditions très anciennes se retrouve dans la Bible, mais au niveau de la symbolique chrétienne on remarque là aussi des éléments
pour le moins troublant. Dans un livre célèbre intitulé « le fabuleux héritage de l’Egypte antique » de l’égyptologue Christianne Desroches Noblecourt,  la savante a montré à maintes reprises combien notre civilisation avait été marquée par l’Egypte antique : dans la tradition de l’Ancien Testament, les Hébreux se retrouvent en esclavage au pays des pharaons. D’un point de vue historique la Bible était la principale de connaissance
de cette culture antique avant que Champollion ne déchiffre les hiéroglyphes, et pour cause ! Ainsi le précepte égyptien :

« Ne faites pas d’excès dans la recherche du gain (pour) que vos besoins soient assurés. Si des richesses vous sont assurées par le vol, elles ne passeront pas la nuit avec vous. A la tombée du jour, elles ne sont pas dans votre maison : on peut voir leurs places mais elles n’y sont pas ! Elles sont fait des ailes comme des oies, et on volé vers le ciel ! »

devient le proverbe biblique :

« Ne te donne pas de peine, pour t’enrichir cesse tes pillages ! Tes yeux s’illuminent dessus, qu’elles ont déjà disparu ! Parce que les richesses se font d’elles-même des ailes, comme un aigle qui vole vers les cieux » (Israel).

Cette influence égyptienne se retrouve à tous les niveaux, comme l’a souligne Christiane Desroches Noblecourt en comparant la procession du pharaon avec celle du pape :

Ces similitudes sur la forme sont loin d’être surprenantes quand on sait que l’Egypte a été la première civilisation à tenter le monothéïsme, un expérience initiée par le pharaon Akhenaton au… XIVe siècle avant J.-C. ! Le culte d’Aton ne survécut pas à la mort de son instigateur, car les mentalités égyptiennes n’étaient pas prêtes à croire en un seul dieu, mais des siècles plus tard le Christianisme allait prendre sa revanche et finalement triompher en Egypte : à l’heure actuelle il existe encore une importante communauté chrétienne copte en Egypte.

Le Christianisme s’est donc nourri d’antiques cultes polythéistes pour se diffuser ensuite sur l’ensemble du monde connu, conformément à sa vocation d’universalité : même un esclave peut être un bon croyant. Mais en dehors de ce progressisme  la nouvelle religion officielle de l’Empire romain est de plus en plus rigide, car elle ne tolère pas les autres confessions. Durant la fin de l’Antiquité, l’Eglise combat les hérésies et autres cultes concurrents depuis le concile de Nicée de 315 après J.-C. Signe de ce durcissement des mentalités,  en 415 après J.-C., la philosophe et mathématicienne Hypathie est tuée par des chrétiens fanatiques à Alexandrie (voir à ce propos le récent film « Agora »). Ironie du sort, l’Egypte, terre des dieux à tête d’animaux durant des millénaires,  voit son temple d’Isis à Philae fermé en 550 après J.-C… Jusqu’à aujourd’hui le Saint Siège a combattu le paganisme avec vigueur, mais d’un point de vue critique le Christianisme a incontestablement des racines païennes, ne serait-ce que par son plus éminemment symbole,  la croix, héritage de l’ankh égyptien !