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par Jean-Sébastien Guillermou

Philippe l'Arabe

Il est toujours intéressant de constater dans le monde des médias combien on sous-estime l’apport de personnalités arabes dans l’histoire de l’Occident. A la télévision, on a tendance à parler des situations de crise au Moyen-Orient, du choc des civilisations, de terrorisme… mais on oublie souvent d’évoquer les personnalités ayant servi de trait d’union à ces deux cultures.

A l’époque de l’Empire romain, l’Arabie forme une province dont la capitale est la magnifique Pétra (106 après J.-C.). Les frontières de ce territoire correspondent à la Jordanie associée à la Syrie. En 212 après J.-C. survient un événement d’une importance capitale : l’édit de Caracalla, une loi qui permet à tous les habitants de l’Empire d’obtenir la citoyenneté romaine ! D’influentes familles arabes l’acquièrent ainsi, et peuvent désormais accéder au cursus honorum. Un notable syrien de l’ordre équestre se distingue de part son ascension sociale remarquable : Philippe.

Une carrière fulgurante

De ses origines on ne sait pas grand chose. Né vers 204 non loin de Damas, Marcus Julius Philippus est ce que on appelle un haut magistrat car il accède au titre envié de préfet du prétoire. Après la mort de Gordien III, tué par les Perses à Misikhè (Falloujah, Irak,) Philippe est élu empereur : « Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus« . Cette fulgurante ascension n’avait rien de surprenante à l’époque des « empereurs-soldats ». En effet, durant le Troisième Siècle, les temps sont rudes : l’imperator est désigné… par ses légionnaires car il est désormais, et avant tout, un chef de guerre. Philippe s’inscrit dans cette lignée en menant des expéditions militaires, preuve en est avec sa campagne contre les Carpes du Danube, un peuple barbare originaire de l’actuelle Roumanie. Pour financer ces guerres, la pression fiscale est forte : le frère de Philippe, qui gouverne l’Orient, la partie la plus riche de l’Empire, lève des impôts de moins en moins populaires. Ces tensions amènent une grave crise puisque deux autres « empereurs » contestent l’autorité de Philippe !

Le temps des contestations

Il s’agit d’abord de Jopatanius, qui ne supporte plus l’idée que le frère de Philippe ménage les Perses. L’empereur gère habilement la contestation en nommant son parent dans une autre province ! Les légionnaires de Jopatanius se retournent alors contre leur chef et l’assassinent… Plus tard, un autre usurpateur se rebelle : il s’agit de Pacatianus, un sous-officier. Philippe, psychologiquement touché, évoque publiquement devant le Sénat l’idée d’abdiquer, mais un sénateur, Dèce, lui demande de rester au pouvoir. Un signe pour le Sénat, qui considère probablement que le comportement de l’empereur est un aveu de faiblesse, indigne d’un chef de guerre. Le souverain envoie alors Dèce dans les Balkans pour contenir les terribles Goths. En cas de succès, cette mission pourrait convaincre le Sénat que Philippe est toujours capable de gouverner l’empire. Mais entre-temps Pacatianus est lui aussi tué par ses propres hommes ! En arrivant sur place Dèce est alors élu contre son gré… empereur par les soldats de feu Pacatianus, ceux-ci ayant peur d’être exécutés pour leur rébellion ! Ces militaires espèrent aussi probablement s’enrichir… Le nouvel usurpateur fait envoyer des messagers à Philippe pour le rassurer, mais l’empereur se décide à partir à la rencontre de l’ancien sénateur avec plusieurs armées. Apprenant la  nouvelle, Dèce marche à son tour avec ses soldats vers l’empereur : la bataille a lieu près de Veronne durant l’automne 249.

Dèce était-il sincère avec Philippe, ou bien l’a-t-il manipulé ? On peut imaginer qu’à partir du moment où le sénateur a été nommé « empereur », il n’avait pas d’autres choix que d’obéir à ses hommes ou de périr assassiné comme bon nombre de chefs de guerre à cette époque… Peut-être que ce nouvel homme fort prit goût au pouvoir, sans pour autant avoir planifié cette insurrection.

La bataille a lieu. Les troupes de Dèce, en infériorité numérique, sont néanmoins des unités d’élite habituées à combattre dans les Balkans : Philippe, alors âgé de 45 ans, périt lors de la bataille dans des circonstances assez troubles, sans que l’on sache si c’est l’arme à la main, ou sous les lames de ses hommes… Peu de temps après, le fils de Philippe est assassiné par la garde prétorienne : Dèce est désormais le nouvel empereur des Romains.

Un homme de paix

Dans un tel contexte de crise, Philippe a laissé derrière l’image d’un homme de paix. Même si ses victoires militaires sur les Carpes et les Germains sont loin d’être négligeables comme en atteste sa titulature à sa mort :

Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus Germanicus Maximus Carpicus Maximus, Pontifex Maximus, Tribuniciae Potestatis VI, Imperator VI, Consul III.

Philippe était plus un fin politique qu’un grand militaire  : suite à la déroute de Gordien III à Misikhè, il avait ainsi obtenu des Perses le retour des prisonniers romains tout en concluant un traité. Un statu quo jugé inacceptable pour bon nombre de Romains. Il géra habilement le soulèvement de Jopatanius en évitant de recourir à la répression. Ses états d’âme, lorsqu’il émit l’idée de renoncer au pouvoir devant le Sénat, constituent sûrement la preuve d’un empereur humain, plus vertueux que bon nombre d’ »empereurs-soldats » du Troisième Siècle. Des états d’âme liés sa religion ?

Aujourd’hui encore, les historiens débattent de la confession de Philippe, suite à ce témoigne d’Eusèbe de Césarée :

« On rapporte qu’il aurait souhaité faire acte de Chrétien et, le jour de la dernière vigile de Pâques, partager les prières de l’Église avec la foule des fidèles. Mais celui qui présidait alors la cérémonie ne lui permit pas d’entrer avant qu’il se soit confessé et qu’il se soit compté lui-même parmi ceux qui se reconnaissaient coupables et occupaient la place de pénitence. Car, s’il ne faisait pas cela, il ne le recevrait jamais, à cause des nombreux crimes qu’il avait commis. On dit qu’il obéit de bonne grâce à ces injonctions, manifestant par sa conduite une crainte de Dieu sincère et pieuse. »

En Arabie il existait à l’époque une importante communauté chrétienne, il est donc possible que Philippe ait pu être initié au christianisme à titre privé, même si on n’en aura probablement jamais la preuve incontestable.

Homme de bon goût, cet empereur a eu la bonne idée de faire embellir la Syrie, le Liban, notamment les cités de Bosra, d’Héliopolis et… Philippopolis. Philippe l’Arabe, comme on a commencé à l’appeler au IVe siècle, a ainsi contribué à léguer un magnifique héritage archéologique classé aujourd’hui Patrimoine de l’Humanité.

Le Philippeion à Philippopolis

Philippeion

Le temple de Bacchus à Héliopolis

Le temple de Bacchus

Commentaires

  1. Audrey on 03.12.2022

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  4. Chat gratuit on 11.03.2023

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