14

oct

par Jean Bresson

L’homme face à lui même

S’il est un film que l’on peut sans hésitation classer parmi les plus grandes oeuvres anticapitalistes, There Will Be Blood s’impose aisément. Loin des playdoyers de Ken Loach ou du manichéisme d’Oliver Stone, il s’agit d’une oeuvre ammoral et cynique, magistralement incarné par Daniel Day-Lewis (oscarisé pour ce role).

Le capitalisme à ses sources

Nous sommes au début du 20e siècle, en Californie. La grande période  de l’Ouest sauvage est presque révolue. Daniel Plainview, tout juste installé avec son fils unique, entend faire fortune en exploitant le pétrole d’une petite communauté. Très vite, son succès va suciter de graves tensions dans la petite ville, et lui creer des ennemis. Notamment Eli Sunday, le charismatique predicateur .
Il est donc clair que le récit nous situe au moment même de la naissance du capitalisme, alors meme que de grand investisseurs cherche à faire de cet Ouest encore sauvage une terre de fortune.

Nous sommes au début du 20e siècle, en Californie. La grande période  de l’Ouest sauvage est presque révolue. Daniel Plainview, tout juste installé avec son fils unique, entend faire fortune en exploitant le pétrole d’une petite communauté. Très vite, son succès va suciter de graves tensions dans la petite ville, et lui creer des ennemis. Notamment Eli Sunday, le charismatique predicateur .Il est donc clair que le récit nous situe au moment même de la naissance du capitalisme, alors meme que de grand investisseurs cherche à faire de cet Ouest encore sauvage une terre de fortune.

Une apologue

Ici chacun est à sa juste place, et semble tenir un role prophétique.

Le “self-made-man” Daniel Plainview est un ermite purgé de tout bons sentiments, representatif d’un système individualiste. L’homme finira d’ailleurs par se retourner contre son propre fils.

Eli Sunday represente l’Eglise superstitieuse de ces années là, d’abord très hostile au système incarné par Plainview, mais finalement très lié à celui ci : le jeune predicateur demandera tout au long du film à recevoir l’argent promis par l’investisseur, et sera finalement trainé dans la boue par celui ci. Une allégorie qui nous rapelle comment le capitalisme s’est petit à petit aproprié le christianisme au début du 20e siècle.

Le fils de Daniel Plainview est un jeune homme qui, suite à un incident spectaculaire près des gisements, finit sourd et, par ce fait, presque muet. Enfant d’un système qui l’a meurtri, voyant peu à peu sa haine croitre envers celui qui l’a exposé à tant de dangers et finira par l’abandonner, il incarne l’héritier blessé d’un capitalisme qu’il vomit mais que, par pragmatisme, il finira par accepter. L’une des dernières scènes du film, et sans aucun doute la plus poignante, met le père et le fils face à face : ce dernier lui annonce qu’il désire creer ses propres gisements ; Daniel Plainview ne voit plus en lui qu’un concurrent et, plus exactement, un “batard trouvé dans un panier”.

Une entreprise d’abord “familiale”

L’objet du film

Plus qu’une véritable charge contre le système, There Will Be Blood relève plus du constat pessimiste, cynique et profondemment ammoral. Et dire que le film s’en prend au capitalisme serait encore une faute : en réalité, c’est la nature humaine que, dans une approche très kubrickienne, le réalisateur entend désacralisé. Car ce capitalisme assassin découle avant tout d’une inclinaison naturelle pour le meurtre, la folie, le sang, les larmes…  la vertue d’Eli Sunday ne surpasse pas celle de  Daniel Plainview, les gens du village ne sont en rien sympathiques, et le fils, d’abord montré comme une victime, finit par rentrer dans le rang.

Le titre est donc révélateur : Il yaura du sang. Avant tout, il expose l’idée dun cycle sans fin : l’humanité ne peut se décharger du poid de la violence, l’Histoire etant constitué de rapports de forces.

Et c’est ensuite une culpabilité universelle qui nous apparait : Eli Sunday (l’Eglise) a du sang sur les mains, Daniel Plainview (capitalisme) a du sang sur les mains, car l’humanité a et aura toujours du sang sur les mains.

Mais une humanité capable de se laver de ses péchés

En conclusion

Si There Will Be Blood est à ce jour considéré comme un chef d’oeuvre, c’est qu’il ne souffre d’aucune leçon de morale ou de partit prit pour l’une ou l’autre doctrine. Le capitalisme n’est qu’une image qui, a fortiori, entend dépeindre la condition humaine. Paul Thomas Anderson évite donc les pièges tendus par les artisants de la “contestation”, pour livrer une oeuvre forte, profondement pessimiste et glaciale.

A voir pour Daniel Day-Lewis, dont la performance se passe de commentaires, et pour sa mise en scène superbe.

Jean Bresson

30

août

par Jean Bresson


“Une grande civilisation n’est conquise de l’extérieur que si elle est détruite de l’intérieur” Le film s’ouvre par cette pensée de Will Durant. Pour l’instant, tout va bien.

Le film avait un fort potentiel : prétendre conter le déclin de la civilisation aztèque du point de vue maya, mettant en perspective sa chute prochaine face aux déchirures internes de l’Empire et l’arrivée subite des espagnols. Un pan de l’Histoire passionnant, méconnu ou fantasmé.

Apocalypto est polémique : intéressante démarche cinématographique (et historique) trop vite obscurcie par une mise en scène privilégiant une vision tribale des populations méso-américaines.

Aztèques et Mayas au 16e siècle
Là où le film perturbe, c’est qu’il ne prend pas la peine de remettre le récit dans son contexte historique. Remettons les choses dans l’Histoire.
Au début du 16e siècle, l’Empire aztèque est le pouvoir dominant de la péninsule du Yucatan : mais l’empereur Moctezuma est perçu comme un despote et peine à maintenir l’unité, faute de popularité. Cette civilisation se fragmente petit à petit, au rythme d’une contestation interne (refus du conservatisme, de l’autorité autocratique…) et d’une menace externe que forment les clans séparatistes. Les Mayas, eux, ne sont plus que des petits clans indépendants les uns des autres disséminés dans la jungle, sans véritable pouvoir ni influence. (Si ce n’est le clan Tlaxcala, qui rejoindra les Espagnols par la suite) Le dieu Serpent à plumes Quetzalcoatl, divinité suprême, se manifeste un jour auprès des prêtres aztèques de la capitale, Tenochtitlan, annoncant ainsi son grand retour. L’empereur ordonne alors, en accord avec les traditions, que l’on prépare sa venue par une série de sacrifices rituels. C’est ainsi qu’ils iront chercher leurs victimes parmi les petits clans mayas, ne pouvant craindre aucune représailles de leur part.

Apocalypto commence là : Patte-De-Jaguar fait partie de ces Mayas. Malheureusement, le film ne touche pas un mot sur la situation que je viens brièvement d’expliciter, et nous plonge sans préambule dans l’action. Le spectateur peine à comprendre le “pourquoi du comment” : qui sont les mayas? où sont les Aztèques? quelle est la différence? Et pourquoi se font-ils enlevés?

Le cas Mel Gibson
Depuis La Passion Du Christ, porter le nom de Mel Gibson lorsqu’on fait du cinema devient une rude affaire, médiatiquement parlant. Sur ce film, assez mal compris, il convient de rappeler que le réalisateur avait choqué par sa mise en scène percutante, nous contraignant à contempler un spectacle parfois insoutenable. Une expérience qui exigeait de son spectateur une difficile perception transcendante de l’oeuvre, qui ainsi se faisait bien plus profonde que la plupart des films pastoraux dont le siecle dernier nous avait abreuvé. Cela dit, Mel Gibson avait incontestablement fait de la violence une obsession. Il la réclamait, nous l’imposait, sous le doux prétexte de vouloir nous faire réfléchir. Démarche pertinente, loin de la violence gratuite qui envahit nos salles de cinémas, mais risquée. Alors que le film prônait l’humaniste, il fut accusé d’antisémitisme ; alors qu’il s’adressait aux non croyants, il a répugné la plupart d’entre eux et n’a touché que les chrétiens affirmés ; alors que Mel Gibson est un catholique traditionaliste, il est passé pour un intégriste radical…

A quoi cela est-il du ? Mise en scène maladroite? Sensationnalisme primaire? Message chrétien éclipsé? Ou au contraire christianisme exalté? Quoi qu’il en soit, cette mésaventure cinématographique a élevé au sein de la critique spécialisée un nouveau conformisme, à savoir l’anti MelGibsonnisme, que venaient enrichir de nombreux scandales médiatiques.

En clair : Apocalypto était attendu au tournant.

Il faut tout de même reconnaitre à Mel Gibson un certain courage.

Apocalypto : boucherie maya? Fresque politique?
Mel Gibson l’aura compris : l’arrivée espagnole n’a en rien provoqué la chute de l’Empire aztèque; elle l’a accéléré. En témoigne la pensée de Will Durant qui ouvre le film :”Une grande civilisation n’est conquise de l’extérieur que si elle est détruite de l’intérieur”. Dès lors, on se dit que la reconstitution sera passionnante, puisqu’elle nous permettra de constater en quoi cette civilisation était condamnée à sombrer, quels étaient les ressorts de cette chute programmée et quel fut le véritable rôle des espagnols.?.. Placer le récit du coté des Mayas est ainsi pertinent, car ils assisteront et survivront à ce déclin précipité.

Mais que fait Mel Gibson? Si c’est véritablement la pensée précédemment citée qu’il veut exposer, on se demande où et comment il la développe. Car Apocalypto n’est ni plus ni moins qu’un film d’aventures. Un très bon film d’aventures, superbement filmé, mais qui n’a rien de la fresque historique promise et par son titre (qui signifie Révélation) et par sa citation ; et si l’on peut considérer, avec beaucoup d’indulgence, que Mel Gibson fait une allégorie politique sur le déclin d’une civilisation, il faut tout de même avouer que le spectateur lambda ne verra ni plus ni moins qu’une simple chasse à l’homme dans la jungle, le tout sur fond de Mayas traqués.

En ce qui concerne la violence, principale crainte et du public et de la critique, Mel Gibson a fait évoluer son concept : à l’horreur visuel (imposé par sa précédente réalisation) il a préféré une violence implicite, mais cependant omniprésente. Sa jungle se fait hostile, inhospitalière, le tout étant rendu par une succession de plans bien pensés : tantôt larges, tantôt très serrés, nous faisant alors apparaitre toute l’ampleur de la menace (pièges mayas, serpents venimeux, rochers assassins…). La mise en scène sublime le décor, rend cette jungle palpable ; et si l’on attendait du film plus qu’il ne peut offrir, on ne peut que s’émerveiller de la reconstitution minutieuse du paysage aztèque : la cité de Tenochtitlan, la langue Nahuatl… Mel Gibson est incontestablement un habile metteur en scène, mais l’on se demande si son zèle cinématographique ne sert pas plus le spectacle que le fond : en témoigne ses précédentes reconstitutions qui tiennent plus du fantasme épique que de la réalité historique.


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Le film offre plusieurs plans magnifiques. Celui-ci est particulièrement puissant
Conclusion
On se demande ce que cherche Mel Gibson. Reconstitution historique? Simple film d’aventures ? Car le film souffre d’une conceptualisation historique bâclée (le principal défaut) et d’un manichéisme flagrant, caractéristique de Mel Gibson, qui font perdre au film de sa profondeur. Et pourtant, une oeuvre intéressante sur bien des points, si l’on décide de se plonger malgré tout dans cet univers sombre et exotique brillamment mis en scène.Un film à voir, ne serait-ce que pour se forger sa propre opinion. Et parce que les films traitant de ce pan de l’Histoire sont bien trop rares.

Jean Bresson

Lorsque des scaphandriers grecs trouvent en 1900 l’épave d’un navire romain revenant de Grèce, ils sont loin d’imaginer que leur découverte va bouleverser notre connaissance de l’Antiquité. Et pour cause : à l’intérieur du bateau a été mise au jour un mécanisme doté d’engrenages, d’aiguilles, de cadrans… Autre élément étonnant, la présence de signes astronomiques basés sur le cycle lunaire. Pour comprendre la machine il faut donc étudier aussi bien l’Astronomie que les Mathématiques… et garder en tête que ce genre d’engin n’allait apparaître qu’à l’époque de la Renaissance ! Il s’agit donc d’une découverte de premier plan qui amène bien des questions… Est-ce une machine unique ? Qu’est-ce qu’elle nous apporte d’un point de vue historique ? Ces questions sont intéressantes à plus d’un titre, car elles bousculent quelque peu notre vision classique de l’Antiquité.

Un objet complètement inconnu ?

Assurément non. Mais nous n’avons à notre disposition que des écrits. Cicéron raconte qu’il a hérité de sa famille d’une machine bien étrange, et qu’un de ses amis en avait élaboré une autre.

[1,14] XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n’est pas nouveau; je n’en suis pas l’inventeur et ma mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants hommes de notre puys, comme vous ne l’ignorez pas, s’étant rencontré par hasard chez M. Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement semblable; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l’aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J’avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d’œuvre d’Archimède, et j’avoue qu’au premier coup d’oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d’apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m’empêcher de juger qu’il y avait eu dans ce Sicilien un génie d’une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d’atteindre. Gallus nous disait que l’invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n’était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l’invention d’Archimède était l’art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l’horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l’ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé … (Cicéron, de La République, Livre I, Chapitres XI-XV).

Selon les dernières analyses remontant aux années 2000, et les scanners appliqués sur les 82 fragments, il y a 2200 caractères évoquant un texte ésotérique en rapport avec des divinités et le Zodiaque, ainsi qu’un manuel d’utilisation. Quatre cadrans indiquent les positions du Soleil et de la Lune. Il est possible qu’une manivelle actionnait le mécanisme. L’appareil affichait le (moderne) calendrier égyptien ainsi que les signes du Zodiaque. Une aiguille indiquait les jours d’éclipse ! Il s’agissait donc d’une calculatrice astronomique.
Cette merveille de technologie remet en perspective nos connaissances de l’ingénierie antique, éminemment représentées par l’école d’Alexandrie.

L’école d’Alexandrie

On sait peu de choses sur les ingénieurs de l’Antiquité, car visiblement l’art mécanique était méprisé. On les retrouve essentiellement à Alexandrie, haut-lieu de la connaissance. Le fait qu’il ait existé au moins trois machines de type Anticythère prouve que la science des mechanopoioi, appelés aussi machinatores était avancée. Si pour l’instant, aucun autre mécanisme antique n’est parvenu jusqu’à nous, on a cependant des témoignages écrits d’engins perfectionnés. Ainsi Ctésibios d’Alexandrie (IIIe siècle avant J.-C.) aurait inventé des canons à eau tellement puissant qu’ils auraient pu propulser des projectiles et défendre ainsi une ville. Il élabore des automates, un monte-charge hydraulique, ainsi que le premier orgue de l’Histoire, l’hydraule.

Cette fameuse école d’Alexandrie prospère durant plusieurs siècles, et influence largement le monde romain.
L’aqueduc de Barbegal apportait de l’eau aux moulins hydrauliques qui pouvait alimenter tous les habitants de la ville d’Arles !

Entre le Ie et le IIe siècle après J.-C., un génie digne de Leonard De Vinci voit le jour : Héron d’Alexandrie.
Cet ingénieur est l’inventeur de l’Eolipyle, une chaudière fermée qui fait tourner une sphère : il s’agit donc d’une petite “machine à vapeur” archaïque.

Ce dispositif ne peut activer de puissants mécanismes, car pour Héron il s’agit d’une simple expérience pratique…
Beaucoup d’historiens se sont demandés ce qu’il se serait produit si le savant avait réalisé l’importance de cette
découverte, mais il ne faut pas oublier que ce mécanicien ne s’est pas contenté d’inventer une seule machine à vapeur. Il imagine des portes de temple actionnées “automatiquement”. Un réservoir chauffé par le feu, transforme l’eau contenue dans une sphère en vapeur. Lorsque l’eau revient, les colossales portes se referment !

Héron est doté d’un esprit si brillant que rien ne semble l’arrêter, comme on le constate avec ces inventions destinées aux temples. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il imagine une machine distribuant de l’eau bénite… automatiquement ! Lorsqu’on insère une pièce dans le mécanisme, de l’eau coule pour les fidèles éberlués… Héron n’hésite pas à créer un appareil imitant la voix d’un dieu pour rendre des oracles ! Il s’agit en fait d’un oiseau mécanique qui chante ou reste silencieux. Lorsqu’une question est posée, le prêtre enclenche discrètement un levier qui actionne “l’animal” si celui-ci doit gazouiller…

Sur le plan militaire, Héron créé le polybolos, une baliste à culasse mobile qui tire des rafales de projectiles tel un canon mitrailleur gatling du XIXe siècle…

Des machines pour abuser les crédules, des armes… Les inventions de cet ingénieur ne sont pas toutes recommandables ! Mais Héron s’illustre aussi dans le domaine des arts avec un théâtre mécanique doté d’automates en bois. Des sons reproduisent même le bruit du tonnerre…

Selon Aulu-Gelle, Archytas de Tarente (Ve-IVe siècle avant J.-C.) aurait inventé quelque chose d’encore plus surprenant : un oiseau mécanique ! C’est ce qui est décrit dans Les nuits attiques, livre dix :

Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n’est pas moins étonnat, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu’une colombe de bois, faite par Archytas à l’aide de la mécanique, s’envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l’équilibre, et l’air qu’elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. Je veux, sur un sujet si loin de la vraissemblance, citer les propres mots de Favorinus : ” Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu’elle s’était reposée, elle ne s’élevait plus; le mécanisme s’arrêtait là.” (XII. Prodiges fabuleux attribués fort injustement par Plien l’Ancien au philosophe démocrite, colombe de bois qui volait).

En définitive, la machine d’Anticythère a confirmé le fait que les prodigieux mécanismes décrits dans les ouvrages grecs et romains n’étaient pas que des cathédrales de l’esprit. A l’aide de théories audacieuses, des ingénieurs ont élaboré pendant plusieurs siècles des machines sophistiquées. Une précieuse connaissance s’est transmise au moins à partir de Thalès, pour ensuite se perdre avec la fin du monde païen. Alors que les Byzantins et les Arabes tentent de préserver les traités antiques, l’Europe de l’Ouest oublie presque complètement ce savoir inestimable. Comme je le disais il y a peu , s’il est vrai qu’on a trop souvent dénigré le Moyen-Âge, on ne doit cependant pas minimiser la “science” antique. L’Eolipyle, véritable machine à vapeur, nous enseigne que l’évolutionnisme n’a plus sa place dans l’étude des phénomènes historiques. Aussi dérangeant soit-elle, il faut admettre l’idée que l’Humanité n’a pas progressé selon une courbe exponentielle idéale telle que le grand public l’imagine 1.

A titre personnel, j’ai l’intime conviction que l’Antiquité greco-romaine, véritable âge d’or de l’ingénierie, n’a pas fini de nous surprendre…

1. Les brillantes civilisations pré-colombiennes n’ont ainsi jamais utilisé la roue…

Sources : Itinera Electronica

Pour aller plus loin, un magnifique documentaire sur Héron d’Alexandrie et ses machines

13

août

par Jean Bresson

Le cinéma Historique

Cinéma et Histoire : deux notions antithétiques ? D’un côté la fiction, l’oeuvre divertissante et produit d’une société, de l’autre, les faits historiques, complexe constat d’un passé bien souvent considéré comme acquis. Peut-on associer pleinement ces deux termes?

Loin de répondre définitivement a cette question, qui exigerait un débat sans fin mais néanmoins intéressant, on peut tout au plus tenter de caractériser brièvement ces cinémas qui se revendiquent prétentieusement “historiques”. Cest ainsi que je vais me permettre de publier de temps en temps quelques articles sur des films qui auront retenus mon attention. Mais avant cela, il me semble necessaire d’introduire ce futur travail.

 

En 1894, un an avant la première projection publique du cinématographe Lumière à Paris, Thomas Edison (photo) montrait, non pas sur un écran mais dans la boite de son kinétoscope, de petites bandes animés parmi lesquelles l’Exécution de Marie Stuart, reine d’Ecosse. On peut donc considérer que le film historique est apparu avant même la naissance du cinéma proprement dit.

 Histoire?

Histoire. Voila un terme bien vague qui nécessite quelques précisions, que A. Koyré, dans Perspectives sur l’histoire des sciences, nous apportent :

- Res gestae : les choses qui se sont passées

- Historia rerum gestarum : le récit des choses qui se sont passées.

On voit là apparaitre une dualité bien distincte qui permettra de former un raisonnement sommaire, mais efficace : Objectivité/Subjectivité.

Le cinéma étant un art, l’on pourrait croire que le metteur en scène nous livre non pas une simple rétrospective des événements passés, mais bien un récit découlant de sa propre ivresse artistique. Ce qui nous amène à définir le second terme.

Cinéma?

Depuis sa création avec les Frères Lumières, le cinéma s’est peu à peu mué en véritable discipline artistique, s’imposant comme une source culturelle à part entière, au même titre que la littérature ou la peinture. De la simple sortie des usines de Lyon, aux superbes reconstitutions hollywoodiennes des années 40, le metteur en scène est devenu artiste, titre privilégié lui associant exclusivement le succès de ses réalisations. Ainsi, parler d’un film, c’est surtout parler d’un créateur. D’après ce constat, si l’oeuvre est personnelle, comment concevoir un véritable cinéma historique, censé relaté objectivement des événements passés?Un cinéma aliéné

Si le cinéma est un art, c’est avant tout un puissant vecteur de communication, un outil populiste, une illusion renvoyée sur les murs de la caverne platonicienne. D’où un recours méthodique à ce media : les films de propagande de l’Allemagne pré-nazie (Le juif sûss de Veit Harlan); les très nombreuses adaptations de la vie du Christ censés clamer haut et fort le modèle chrétien ( Passion de Ferdinand Zecca en 1902, L’Evangile selon St Mathieu de Pier Paolo Pasolini en 1964); les nombreux codes latents du cinéma hollywoodiens, filtrant une idéologie toute américaine…

Ce cinéma établit les bases du conformisme, les consolide, et les fait évoluer à volonté. Ainsi l’Histoire sera au service d’une doctrine, d’une idéologie consolatrice : Alexandre Nevski, film d’Eisenstein sortie sous l’URSS de Staline, qui raconte comment le vaillant héros russe du Moyen Age a repoussé les affreux germains; Le silence de la mer de Jean Pierre Melville (1949) qui glorifie le résistancialisme sous De Gaulle; et encore La Rafle , véritable opium du peuple cinématographique, qui nous apprend, à grand renfort d’effets larmoyants, que le nazisme c’était mal.

Le cinéma sert à rassembler, il conforte les gens dans leurs idées et constitue ainsi un véritable facteur de cohésion nationale.

 L’affiche a le mérite d’être superbe. Parmi les films d’Eisenstein du même ressort, on compte Potemkine et Octobre, véritables hymnes au modèle soviétique.

 

Un cinéma critique

Si le cinéma s’attaque à l’Histoire, il se doit d’être critique avant tout ; car l’Histoire, loin d’ être une simple succession d’événements isolés, repose sur une mécanique linéaire logique : discuter l’Histoire, c’est remettre en question les fondations même d’une société. Dès lors le film est source d’interrogations, il choque le spectateur, le bouscule en lui livrant une vision singulière de l’ Histoire ou en lui en dévoilant une facette cachée. L’oeuvre se veut provocante, en réaction a l’envahissant conformisme qui réduirait l’Histoire à n’être qu’un passé fantasmé par un pouvoir manipulateur : Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1971) et Lacombe Lucien de Louis Malle (1973) se chargent de bousculer le mythe resistancialiste, montrant du doigt une attitude française coupable sous l’occupation ; La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese qui ose envisager Jesus sous un angle plus humain, véritable scandale à sa sortie…

L’Histoire se présente alors sous différents angles, les points de vues discutant de faits parfois bien plus complexe qu’on ne voudrait le croire.

 Enorme scandale à sa sortie, les critiques diront de l’histoire de ce jeune paysan français devenu pétainiste que c’est celle ” d’un salaud”. L’affiche parle d’elle même : nazie notoire ou jeune M. tout le monde influençable? 

La part des choses

Le cinéma se doit-il de nous donner des leçons d’Histoire?

OU n’est-il pas plutôt une formidable base de réflexion, le point convergent d’une foule de perceptions distinctes (officielles, contestataires, personnelles…) que l’on se doit de rassembler afin de se consolider son propre point de vue?

Le cinéma n’apprend pas, il discute.

Lorsque Costa Gavras réalise Amen, film sur les relations ambiguës entre le Vatican et le Troisième Reich, il ne se fixe pas pour objectif de montrer du doigt la chrétienté et, a fortiori, tout les prêtres, qui seraient assimilés à des nazis notoires. Il veut amener son spectateur à interroger ses convictions, qu’elles soient religieuses ou humanistes, dans la perspective d’une situation où l’horreur s’imposerait à nous.

Ainsi l’important dans le film dit “historique” n’est pas tant l’époque qu’il reconstitue, ni la véracité des éléments mis en avant, que les questions qu’ils soulèvent, toujours d’actualité.

Il n’y a pas de bons films historiques. Simplement des bons films.

 Mel Gibson, grande figure de l’ultra manichéisme historique : Braveheart : les méchants anglais / The Patriot : les méchants anglais (décidément) /La Passion du Christ : les méchants juifs et les méchants romains  /Apocalypto : les méchants aztèques. Des méchants à la pointe du vice, toujours prêts à trucider les familles du gentil par seul plaisir pervers ( la chose est mathématique dans les MelGibsonneries)

Quelques Films

Difficile de trier. Malgré tout, quelques uns ont attirés mon attention. Gangs of New york de Martin Scorsese, qui développe une idée intéressante : les sociétés se sont établies sur la violence et la barbarie.

A mettre en comparaison , l’on peut retenir Full Metal Jacket de Stanley Kubrick et Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, qui ont chacun une vision clairement différente de l’impact de la guerre sur l’homme.

Ou encore, pour parler du modèle américain, deux films , l’un n’étant pas particulièrement historique mais plutôt idéologique : There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, qui défait le rêve capitaliste américain en révélant ses bases assassines, personnifié par le roi du pétrole misanthrope et légèrement psychopathe Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis superbe) ; et son parfait contraire A la recherche du bonheur, apologie du système américain, qui retrace le parcours O combien idolâtré d’un homme très gentil qui a force de travailler deviendra très riche. Sensiblement le même schéma dans ces deux films : un homme seul avec son fils, face à un “American dream”. Mais traitements radicalement différents, représentatifs de la dualité explicitée dans cet article.

 Jean Bresson

13

août

par Jean-Sébastien Guillermou

J’ai l’immense fierté d’accueillir sur ce site un nouveau rédacteur pas comme les autres… Il s’agit de Jean Bresson, cinéphile, que  j’ai eu la chance d’avoir comme élève en classe de Seconde il y a quelques années de ça. Jean livrera ici une réflexion sur les rapports entre l’Histoire et le Cinéma, et peut-être de futurs articles sur des oeuvres historiques… Bienvenue Jean !

11

août

par Jean-Sébastien Guillermou

Me voilà de retour après une longue absence, la faute à un roman qui me prend beaucoup de temps…

Il y a peu un ami me demandait quelle était la contribution des scientifiques arabo-musulmans dans la Science médiévale. En substance, la question était de savoir si cette civilisation avait régressé à partir du XIIe siècle. Peut-on mettre en doute l’importance de ces savants ? N’aurait-on pas surestimé le savoir des Arabes, qui proviendrait uniquement des érudits grecs et romains ?

C’est une question intéressante. L’année dernière, j’avais évoqué la formidable avance technique des Byzantins. Les Arabes bénéficiaient eux aussi d’un savoir considérable hérité, il est vrai, de la culture gréco-romaine. Au Moyen-Âge, si l’on exclue les Byzantins, l’Europe de l’Ouest connait une certaine stagnation sur le plan scientifique. Ainsi, en Europe on a perdu l’ensemble de la géographie de Ptolémée ! Seule une infime partie des textes de Platon furent traduits en Latin…

Le but de ce modeste article est de démontrer que dans le monde arabe,  cette connaissance précieuse est non seulement conservée, mais aussi dépassée après le XIIe siècle.

Je vais évoquer différentes disciplines pour justifier mes propos… Par avance, je tiens à m’excuser auprès des scientifiques qui liront ces lignes : j’ai volontairement vulgarisé  l’apport des érudits arabes, pour la simple et bonne raison que le sujet nécessiterait bien plus qu’un simple article… J’invite donc les curieux qui veulent aller plus loin à consulter les ouvrages, nombreux, qui traitent de ces intellectuels.

Une incursion dans l’Aéronautique

En 875 l’humaniste Abbas Ibn Firnas saute d’une tour avec des ailes en bois recouvertes de plumes. Il se fracture les deux jambes mais entre dans l’Histoire comme étant l’un des premiers hommes à avoir essayé de voler. Son exploit fut si retentissant qu’aujourd’hui un cratère de la Lune porte son nom…

Le développement de la science mathématiques

Au IXe siècle, Al-Khawarizmi, surnommé “le père de l’Algèbre”, écrit un livre intitulé Al-Jabr dans lequel il traite d’une inconnue symbolisée par… “l’arithme”. Il se base sur Diophante d’Alexandrie, et popularise les “chiffres arabes”, qui sont en réalité indiens. Des centaines d’années plus tard, le savant Fibonaci reprend ces chiffres pour travailler sur la célèbre suite qui porte son nom.

Une centaine d’année plus tard, Al-Khawarizmi, Ibrahim Ibn Sinan prouve que la surface d’un segment de paraboles représente les quatre tiers de l’aire du triangle inscrit. Il invente une méthode pour élaborer des cadrans solaires de grande qualité.

Au XVe siècle, le Persan Al-Kachi calcule seize décimales du nombre Pi. Il faut attendre deux cent ans pour obtenir une plus grande précision. L’Algèbre n’est pas en reste : entre le IXe et le Xe siècle, Al-Hasib Al Misri résout une équation du second degrés, et  influence lui aussi Fibonacci.

Le IXe siècle, l’Age d’Or de l’Astronomie arabe ?

C’est une question qui mérite d’être posée tant cette période semble être un moment clef dans le développement de l’Astronomie. A cette époque, Al-Battani corrige les calculs de Ptolémée, grand savant de l’Antiquité, oublié par l’Occident. Il s’illustre avec le calcul de l’inclinaison de l’axe terrestre, ainsi que de brillants travaux mathématiques.

Les années 800 sont décidément fastes pour l’astronomie, puisque le savant persan Al-Marwazi est le premier érudit à mesurer de manière efficace une éclipse de Soleil.

Al-Soufi (903-986) découvre le grand nuage de Magellan, calcule avec précision l’année tropique et décrit étoiles et constellations dans son “Livre des étoiles fixes”. Un cratère de la Lune porte son nom.

La mécanique classique

L’ingénieur irakien Al-Djazari (1135-1206) développe les pompes hydrauliques ainsi que les automates, des machines bien connues à l’époque antique. Au XVIe siècle, Taqui Al-Din s’inscrit dans cette tradition en inventant des pompes à eau très perfectionnées, peut-être les plus élaborées de leur temps.

Histoire-Géographie

Durant le XIe siècle, Al-Bakri a décrit l’Afrique du Nord et le Soudan, l’Europe, la Péninsule Arabique.

Al Idrissi (1100-1165) devient le géographe officiel du  normand Roger II, roi de Sicile. Il se base sur la géographie de Ptolémée,  et décrit la Sicile, l’Europe, l’Afrique.

Mais on ne peut évoquer décemment l’Histoire-Géographie sans parler du Tunisien ‘Ibn-Khaldoun (1332-1406), précurseur de la Sociologie, qui insiste sur l’importance des sources. Cet intellectuel s’interroge de manière très moderne sur la philosophie de l’Histoire.

Optique, Chimie et remise en cause de l’héritage classique

L’Irakien Alhazen (965-1039) est le premier à mettre en défaut la théorie de Ptolémée selon laquelle l’oeil émet de la lumière. Il affirme que la Lune ne fait que réfléchir la lumière du Soleil, analyse les lentilles grossissantes, et mène ses expériences dans une chambre noire. Ce savant écrit plusieurs traités. Aujourd’hui, un astéroide porte son nom.

Chimie, Alchimie… Ne devrait-on pas plutôt évoquer “l’Al-Chimie” ! Dès le VIIIe siècle, Jabir Ibn Hayyan découvre l’acide chlorhydrique, l’acide nitrique ainsi que d’autres substances de premier plan.

Médecine et tradition orientale

Rhazès (865-925) est le premier médecin à ouvrir l’hôpital aux pauvres. Il insiste sur l’importance des questions posées aux patients, l’observation. Son hopital à Bagdad disposait d’un service pour les malades mentaux. Rhazès étudiait non seulement la neurologie, mais aussi des maux tels que la petite vérole.

Abu Al-Qasim, intellectuel andalou, fonde au  Xe siècle la chirurgie moderne par le biais d’une encyclopédie médicale en… 30 volumes ! Il décrit comment opérer des ligatures artérielles, réduire des luxations… Son savoir fera référence jusqu’à la Renaissance.

Plus tard Ibn Nafis, savant syrien du XIIIe siècle, découvre la circulation pulmonaire. Ses écrits ne parviennent en Europe qu’au XVIe siècle.

Les grands érudits

Bien que le terne ne me satisfait pas, je désigne ainsi les savants qui ont accompli des découvertes majeures dans plusieurs disciplines. De part leur capacité à s’intéresser à des champs de connaissance aussi complexes que variés, ils sont les authentiques précurseurs des humanistes de la Renaissance.

Le philosophe Al-Kindi (803-873), aussi doué pour les mathématiques que pour la médecine, la musique ou encore l’astronomie, étudie l’harmonie, et devine qu’un son produit une onde perceptible.

Abu I-Wafa est lui aussi un astronome doublé d’un mathématicien. Au Xe siècle il développe la trigonométrie plane et sphérique.

Le persan Al-Biruni (973-1048) s’intéresse à l’Astronomie, la Philosophie, les Mathématiques, l’Histoire, la Médecine… Il connait parfaitement l’histoire de l’Inde, et sa culture, mais parle couramment le Grec, le Syriaque, l’Arabe. En astronomie ses travaux sont remarquables car il affirme que la Terre émet une “force d’attraction”. Au XVIe siècle, on utilisait encore ses écrits pour calculer le rayon du globe terrestre. Un cratère porte son nom.

Le mathématicien et astronome Omar Khayyâm (1048-1131) invente un calendrier à année bissextile plus précis que le calendrier grégorien.

Au XIIIe siècle, Nasir Ad-Din At-Tusi est l’astronome perse le plus avancé de son temps. Ses travaux influence Copernic. Il affirme que l’hérédité est un facteur biologique important. En chimie, il écrit que la matière change mais ne disparait pas. Il est l’auteur de la formule mathématiques de sinus.

Enfin on ne peut passer sous silence le génie de Sinan. Certes il est turc, mais il est au XVIe siècle le  grand architecte de l’Empire Ottoman. Il forme Sedefhar Mehmet Aga, qui réalise la célèbre Mosquée bleue.

Un leg fait à l’Humanité

Les Arabes ont donc partagé avec les Byzantins un fabuleux héritage, le savoir gréco-romain. Mais ils ont aussi offert à l’Occident les chiffres indiens. Ces savants ont joué un rôle crucial dans la transmission d’une connaissance précieuse, qu’ils ont sublimé, préparant ainsi la Renaissance. Quel plus beau leg pour l’Humanité ?

En définitive, depuis trente ans on a largement réhabilité le Moyen-Âge, et ce n’est que justice. Mais force est de constater qu’à l’époque des Croisades, le monde musulman est souvent effaré par un Occident perçu comme barbare. Je terminerai avec cet éloquent témoignage d’un médecin arabe :

On m’amena un cavalier sur la jambe duquel s’était formé un abcès, et une femme attaquée par une fièvre hectique. Sur l’abcès du cavalier j’avais posé un emplâtre vésicatoire; l’abcès s’ouvrit et prit un cours favorable. A la femme je prescris une diète et avec une alimentation végétale son état s’était amélioré. Vint alors un médecin Franc et dit “Celui-là ne saura pas vous guérir, il n’y comprend rien”. Se tournant alors vers le cavalier il lui posa la question suivante : “Que préfères-tu? Vivre avec une jambe ou mourir avec deux jambes? Le cavalier lui répond : “Vivre avec une jambe”. Alors le médecin Franc dit : “Cherchez-moi un cavalier bien fort, avec une hache bien aiguisée”. Le cavalier avec la hache arrive, j’étais encore présent. Le médecin pose alors la jambe du patient sur un billot et ordonne au cavalier : “Tranche-lui la jambe d’un seul coup de hache”. Le cavalier lui assène un coup pendant que je le voyais faire. Malgré cela, la jambe n’était pas encore sectionnée. Il asséna un deuxième coup, alors la moelle de la jambe se mit à couler, et l’infortuné mourut sur l’instant. Ensuite, le médecin examina la femme et dit : “Cette femelle a un diable dans le corps qui s’est amouraché d’elle. Coupez-lui les cheveux”. On les lui coupe, et elle se mit à manger de nouveau des aliments de ses compatriotes. Alors sa fièvre monta, et le médecin dit : “Le Diable monte maintenant à sa tête”. Avec ces mots il s’empara du rasoir, lui fit une entaille au cuir chevelu en forme de croix jusqu’à ce que l’os du crâne se dénuda, et le frotta alors avec du sel. La femme mourut au bout d’une heure. Sur ce, je m’en allai, après avoir appris de leur Art de guérir ce qui jusqu’alors m’était inconnu”.

Pour aller plus loin : Amin Malouf, les Croisades vues par les Arabes.

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par Jean-Sébastien Guillermou

Le devoir de mémoire est au coeur de l’enseignement de l’Histoire,  il donne à cette discipline une légitimité morale. Bien évidemment, “morale” ne veut pas dire “moralisme”, nous ne sommes pas responsables des exactions de nos ancêtres, fussent-ils nazis. En revanche, nous sommes les garants du monde futur, du Progrès, pour ainsi éviter que l’Histoire ne soit, comme on a l’habitude de le dire, un éternel recommencement.

Une fois n’est pas coutume, je vous invite à regarder un diaporama commenté sur Hiroshima et Nagasaki, villes du seul pays au monde à avoir subi des attaques atomiques : le Japon. Mes photos ont été prises lors de l’été 2008. Pour lancer le diaporama cliquez ici. Dans la nouvelle fenêtre qui apparaît, vous pouvez activer les commentaires en cliquant en haut à droite sur “afficher les infos”, et régler la vitesse avec “options”.

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par Jean-Sébastien Guillermou

Mes élèves du lycée ont souvent des appréhensions lorsque je leur annonce que nous allons étudier les origines du Christianisme. Ils confondent “catéchisme” et “histoire de la religion”, et craignent des leçons de morale ! Pourtant l’étude d’une religion est essentielle en histoire… ou en philosophie. On apprend non seulement à mieux connaître la société dans laquelle on vit (notre fameuse civilisation “judéo-chrétienne”), mais aussi à comprendre nos liens avec d’autres cultures. Que l’on soit croyant, agnostique (“celui qui doute”), athé ou anti-clérical, connaître la religion chrétienne permet d’appréhender le monde… actuel. Preuve en est avec la position de l’Eglise actuelle, qui reproche au film “Avatar” de faire l’apologie de la Nature en tant que “divinité à adorer”.

Certains pensent que l’Histoire  décrédibilise la Bible, avec notamment les mythes d’Adam et Eve, le Déluge… C’est un faux débat. Le but de notre discipline scientifique n’est pas de porter un jugement sur ce qui relève du domaine de la foi, par définition irrationnelle, mais de faire la part des choses entre le mythe, riche en symboles, et ce qui appartient à l’Histoire. Lorsqu’on accomplit cette démarche, que l’on soit croyant ou pas, on peut se rendre compte que l’étude d’une religion est très intéressante.

N’en déplaise aux intégristes du monde entier, un culte ne se crée pas ex nihilo ! Preuve en est avec les “trois religions du Livre”, l’ouvrage en question étant… la Bible. Les Hébreux, qui cherchent leur libérateur, le Messie, sont à l’origine d’un ensemble de textes dont la fameuse Torah, des écrits regroupés plus tard sous le titre d’”Ancien Testament“. C’est ce qu’on appelle la Bible hébraïque. Après la mort du Christ, certains Juifs considèrent que Jésus-Christ est le Messie que l’humanité attendait. Ils décident de raconter l’histoire de sa vie dans le Nouveau Testament : ce sont les premiers chrétiens. La Bible chrétienne est donc la réunion de l’Ancien et du Nouveau Testament. Des siècles plus tard, les Musulmans estiment que Jésus est un prophète, certes important, mais qu’il faut suivre la parole de Mahomet. On trouve néanmoins dans le Coran des éléments communs aux textes chrétiens et hébraïques : ainsi dans l’ouvrage sacré des Musulmans, les trois religions sont considérées comme “célestes”, car elle partagent les mêmes mythes fondateurs.

La Bible, une mosaïques de récits, a donc été rédigée pendant plusieurs siècles, dès la plus haute antiquité. Ce qui signifie que cet ouvrage a été “contaminé” dans sa rédaction par des mythes très anciens appartenant à des cultes… polythéistes, “païens”. Pour les Chrétiens, le terme “païen” est un terme péjoratif, il désigne celui qui ne croit pas en Dieu, ou qui croit en une (ou plusieurs) autres divinités. Ironie de l’Histoire, bien avant la rédaction de l’Ancien Testament on retrouve des mythes religieux “suspects” qui ont non seulement influencé les auteurs de la Bible, mais aussi l’Eglise elle-même !

Mythes  babyloniens et sacrifices humains

Plus d’un millénaire avant la naissance de Jésus-Christ on observe dans des civilisations polythéistes les traces de légendes qui nous semblent aujourd’hui bien familières… Dans un mythe babylonien datant (au moins) du XVIIIe siècle avant J.-C., Enlil, le dieu suprême, exaspéré par l’Humanité, décide d’en finir en provoquant le Déluge. Le frère d’Enlil, Ea, avertit un humain, Atrahasis, en lui demandant de construire une arche en bitume qui embarquera toutes les espèces animales. Le Déluge se produit, l’eau montant jusqu’au sommet des montagnes durant 6 jours et 7 nuits. Le calme revenu, Atrahasis se décide à lâcher une colombe, qui revient vers l’arche, faute de terre où se poser. L’humain recommence l’expérience avec une hirondelle, qui revient elle aussi. Finalement Atrahasis lache un corbeau, qui ne retourne pas à l’Arche : les eaux ont donc reculé.
Voici l’exemple spectaculaire d’une influence païenne puisque aucun scientifique ne peut remettre sérieusement en cause l’antériorité de ce mythe que l’on retrouve dans la religion hébraïque, l’Ancien Testament et bien évidemment le Coran :

«Et il fut révélé à Noé: ‘De ton peuple, il n’y aura plus de croyants que ceux qui ont déjà cru. Ne t’afflige pas de ce qu’ils faisaient. Et construis l’arche sous Nos yeux et d’après Notre révélation. Et ne M’interpelle plus au sujet des injustes, car ils vont être noyés’.
Fais-toi une arche en bois résineux, tu la feras en roseaux et tu l’enduiras de bitume
en dedans et en dehors. Voici comment tu la feras : trois cents coudées pour la longueur de l’arche, cinquante coudées pour sa largeur, trente coudées pour sa hauteur. Tu feras à l’arche un toit et tu l’achèveras une coudée plus haute, tu placeras l’entrée de l’arche sur le côté et tu feras un premier, un second et un troisième étages
Et il construisait l’arche. Et chaque fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se moquaient de lui. Il dit : ‘Si vous vous moquez de nous, eh bien, nous nous moquerons de vous, comme vous vous moquez (de nous)’. Et vous saurez bientôt à qui viendra un châtiment qui l’humiliera, et sur qui s’abattra un châtiment durable ! »

Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner (d’eau), Nous dîmes: ‘Charge (dans l’arche) un couple de chaque espèce ainsi que ta famille - sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient’. Or, ceux qui avaient cru avec lui étaient peu nombreux. Et il dit: “Montez dedans. Que sa course et son mouillage soient au nom d’Allah. Certes mon Seigneur est Pardonneur et Miséricordieux”. Et elle vogua en les emportant au milieu des vagues comme des montagnes.
Et Noé appela son fils, qui restait en un lieu écarté (non loin de l’arche): “Ô mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les mécréants”. Il répondit: “Je vais me réfugier vers un mont qui me protègera de l’eau”. Et Noé lui dit: “Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre d’Allah. (Tous périront) sauf celui à qui Il fait miséricorde”. Et les vagues s’interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés.Et il fut dit: “Ô terre, absorbe ton eau! Et toi, ciel, cesse (de pleuvoir)!” L’eau baissa, l’ordre fut exécuté et l’arche s’installa sur le Joûdî, et il fut dit : “Que disparaissent les gens pervers”!» (Coran, XI:36-44).

Un autre personnage commun aux trois religions monothéistes atteste probablement d’une influence païenne : Abraham. Ce héros mythique est célèbre à cause de l’épisode du sacrifice relaté dans la Bible : Dieu décide de mettre son prophète à l’épreuve en lui demandant de sacrifier son fils Isaac, mais au dernier moment un ange vient arrêter la lame, et un bélier est sacrifié à sa place. D’un point de vue historique, cet épisode est intéressant car il nous renseigne sur les coutumes religieuses de ces temps anciens, et nous montre finalement que les sacrifices humains étaient encore courants lors de la rédaction de l’Ancien Testament !  Des sources romaines évoquent le fait qu’un autre peuple sémitique semble les pratiquer encore très tardivement : à Carthage ont été retrouvés des os d’enfants peut-être sacrifiés en l’honneur de la déesse Tanit (les historiens sont partagés). Les Hébreux de la Bible étaient donc largement empreints de paganisme, comme nous le montre le fameux épisode du Veau d’Or : au moment ou Moïse va chercher les Tables de la Loi écrites par Dieu lui-même, le peuple du prophète sombre dans la débauche et se met à vénérer une divinité païenne. Sans aller jusqu’à reconnaître, comme certains historiens, que les Hébreux pratiquaient le monolâtrisme (le fait de reconnaître certains dieux mais de n’en vénérer qu’un), on peut néanmoins raisonnablement penser que la religiosité des gens à cette époque était moins “rigide”, ce qui n’est pas sans conséquences dans la rédaction de la Bible.

Le dieu décrit dans l’Ancien Testament, très “humain”, n’est donc pas le même que celui du Nouveau : Dans l’Ancien Testament, ou “Ancienne Alliance”, on observe un dieu vengeur qui n’hésite pas à provoquer le Déluge pour anéantir la quasi totalité de l’humanité, comme nous l’avons vu précédemment ! C’est un dieu guerrier, jaloux (“tu n’auras pas d’autres dieux que moi”, Décalogue), sévère, une divinité à l’image de celles qu’on rencontrait en Egypte ou en Mésopotamie… Dans le Nouveau Testament, basé essentiellement sur la vie de Jésus-Christ,  Dieu est Amour. Jésus est envoyé sur Terre pour racheter les fautes des hommes. On a donc un tout autre message, moins colérique, et plus humaniste, une “Nouvelle Alliance”.

L’influence du paganisme, incontestable sur le fond, ne se retrouve pas seulement dans les textes !

Une Eglise catholique romaine… égyptienne

Comme nous l’avons observé, le poids de traditions très anciennes se retrouve dans la Bible, mais au niveau de la symbolique chrétienne on remarque là aussi des éléments
pour le moins troublant. Dans un livre célèbre intitulé “le fabuleux héritage de l’Egypte antique” de l’égyptologue Christianne Desroches Noblecourt,  la savante a montré à maintes reprises combien notre civilisation avait été marquée par l’Egypte antique : dans la tradition de l’Ancien Testament, les Hébreux se retrouvent en esclavage au pays des pharaons. D’un point de vue historique la Bible était la principale de connaissance
de cette culture antique avant que Champollion ne déchiffre les hiéroglyphes, et pour cause ! Ainsi le précepte égyptien :

“Ne faites pas d’excès dans la recherche du gain (pour) que vos besoins soient assurés. Si des richesses vous sont assurées par le vol, elles ne passeront pas la nuit avec vous. A la tombée du jour, elles ne sont pas dans votre maison : on peut voir leurs places mais elles n’y sont pas ! Elles sont fait des ailes comme des oies, et on volé vers le ciel !”

devient le proverbe biblique :

“Ne te donne pas de peine, pour t’enrichir cesse tes pillages ! Tes yeux s’illuminent dessus, qu’elles ont déjà disparu ! Parce que les richesses se font d’elles-même des ailes, comme un aigle qui vole vers les cieux” (Israel).

Cette influence égyptienne se retrouve à tous les niveaux, comme l’a souligne Christiane Desroches Noblecourt en comparant la procession du pharaon avec celle du pape :

Ces similitudes sur la forme sont loin d’être surprenantes quand on sait que l’Egypte a été la première civilisation à tenter le monothéïsme, un expérience initiée par le pharaon Akhenaton au… XIVe siècle avant J.-C. ! Le culte d’Aton ne survécut pas à la mort de son instigateur, car les mentalités égyptiennes n’étaient pas prêtes à croire en un seul dieu, mais des siècles plus tard le Christianisme allait prendre sa revanche et finalement triompher en Egypte : à l’heure actuelle il existe encore une importante communauté chrétienne copte en Egypte.

Le Christianisme s’est donc nourri d’antiques cultes polythéistes pour se diffuser ensuite sur l’ensemble du monde connu, conformément à sa vocation d’universalité : même un esclave peut être un bon croyant. Mais en dehors de ce progressisme  la nouvelle religion officielle de l’Empire romain est de plus en plus rigide, car elle ne tolère pas les autres confessions. Durant la fin de l’Antiquité, l’Eglise combat les hérésies et autres cultes concurrents depuis le concile de Nicée de 315 après J.-C. Signe de ce durcissement des mentalités,  en 415 après J.-C., la philosophe et mathématicienne Hypathie est tuée par des chrétiens fanatiques à Alexandrie (voir à ce propos le récent film “Agora”). Ironie du sort, l’Egypte, terre des dieux à tête d’animaux durant des millénaires,  voit son temple d’Isis à Philae fermé en 550 après J.-C… Jusqu’à aujourd’hui le Saint Siège a combattu le paganisme avec vigueur, mais d’un point de vue critique le Christianisme a incontestablement des racines païennes, ne serait-ce que par son plus éminemment symbole,  la croix, héritage de l’ankh égyptien !


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jan

par Jean-Sébastien Guillermou

Philippe l'Arabe

Il est toujours intéressant de constater dans le monde des médias combien on sous-estime l’apport de personnalités arabes dans l’histoire de l’Occident. A la télévision, on a tendance à parler des situations de crise au Moyen-Orient, du choc des civilisations, de terrorisme… mais on oublie souvent d’évoquer les personnalités ayant servi de trait d’union à ces deux cultures.

A l’époque de l’Empire romain, l’Arabie forme une province dont la capitale est la magnifique Pétra (106 après J.-C.). Les frontières de ce territoire correspondent à la Jordanie associée à la Syrie. En 212 après J.-C. survient un événement d’une importance capitale : l’édit de Caracalla, une loi qui permet à tous les habitants de l’Empire d’obtenir la citoyenneté romaine ! D’influentes familles arabes l’acquièrent ainsi, et peuvent désormais accéder au cursus honorum. Un notable syrien de l’ordre équestre se distingue de part son ascension sociale remarquable : Philippe.

Une carrière fulgurante

De ses origines on ne sait pas grand chose. Né vers 204 non loin de Damas, Marcus Julius Philippus est ce que on appelle un haut magistrat car il accède au titre envié de préfet du prétoire. Après la mort de Gordien III, tué par les Perses à Misikhè (Falloujah, Irak,) Philippe est élu empereur : “Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus“. Cette fulgurante ascension n’avait rien de surprenante à l’époque des “empereurs-soldats”. En effet, durant le Troisième Siècle, les temps sont rudes : l’imperator est désigné… par ses légionnaires car il est désormais, et avant tout, un chef de guerre. Philippe s’inscrit dans cette lignée en menant des expéditions militaires, preuve en est avec sa campagne contre les Carpes du Danube, un peuple barbare originaire de l’actuelle Roumanie. Pour financer ces guerres, la pression fiscale est forte : le frère de Philippe, qui gouverne l’Orient, la partie la plus riche de l’Empire, lève des impôts de moins en moins populaires. Ces tensions amènent une grave crise puisque deux autres “empereurs” contestent l’autorité de Philippe !

Le temps des contestations

Il s’agit d’abord de Jopatanius, qui ne supporte plus l’idée que le frère de Philippe ménage les Perses. L’empereur gère habilement la contestation en nommant son parent dans une autre province ! Les légionnaires de Jopatanius se retournent alors contre leur chef et l’assassinent… Plus tard, un autre usurpateur se rebelle : il s’agit de Pacatianus, un sous-officier. Philippe, psychologiquement touché, évoque publiquement devant le Sénat l’idée d’abdiquer, mais un sénateur, Dèce, lui demande de rester au pouvoir. Un signe pour le Sénat, qui considère probablement que le comportement de l’empereur est un aveu de faiblesse, indigne d’un chef de guerre. Le souverain envoie alors Dèce dans les Balkans pour contenir les terribles Goths. En cas de succès, cette mission pourrait convaincre le Sénat que Philippe est toujours capable de gouverner l’empire. Mais entre-temps Pacatianus est lui aussi tué par ses propres hommes ! En arrivant sur place Dèce est alors élu contre son gré… empereur par les soldats de feu Pacatianus, ceux-ci ayant peur d’être exécutés pour leur rébellion ! Ces militaires espèrent aussi probablement s’enrichir… Le nouvel usurpateur fait envoyer des messagers à Philippe pour le rassurer, mais l’empereur se décide à partir à la rencontre de l’ancien sénateur avec plusieurs armées. Apprenant la  nouvelle, Dèce marche à son tour avec ses soldats vers l’empereur : la bataille a lieu près de Veronne durant l’automne 249.

Dèce était-il sincère avec Philippe, ou bien l’a-t-il manipulé ? On peut imaginer qu’à partir du moment où le sénateur a été nommé “empereur”, il n’avait pas d’autres choix que d’obéir à ses hommes ou de périr assassiné comme bon nombre de chefs de guerre à cette époque… Peut-être que ce nouvel homme fort prit goût au pouvoir, sans pour autant avoir planifié cette insurrection.

La bataille a lieu. Les troupes de Dèce, en infériorité numérique, sont néanmoins des unités d’élite habituées à combattre dans les Balkans : Philippe, alors âgé de 45 ans, périt lors de la bataille dans des circonstances assez troubles, sans que l’on sache si c’est l’arme à la main, ou sous les lames de ses hommes… Peu de temps après, le fils de Philippe est assassiné par la garde prétorienne : Dèce est désormais le nouvel empereur des Romains.

Un homme de paix

Dans un tel contexte de crise, Philippe a laissé derrière l’image d’un homme de paix. Même si ses victoires militaires sur les Carpes et les Germains sont loin d’être négligeables comme en atteste sa titulature à sa mort :

Imperator Caesar Marcus Julius Philippus Pius Felix Invictus Augustus Germanicus Maximus Carpicus Maximus, Pontifex Maximus, Tribuniciae Potestatis VI, Imperator VI, Consul III.

Philippe était plus un fin politique qu’un grand militaire  : suite à la déroute de Gordien III à Misikhè, il avait ainsi obtenu des Perses le retour des prisonniers romains tout en concluant un traité. Un statu quo jugé inacceptable pour bon nombre de Romains. Il géra habilement le soulèvement de Jopatanius en évitant de recourir à la répression. Ses états d’âme, lorsqu’il émit l’idée de renoncer au pouvoir devant le Sénat, constituent sûrement la preuve d’un empereur humain, plus vertueux que bon nombre d’”empereurs-soldats” du Troisième Siècle. Des états d’âme liés sa religion ?

Aujourd’hui encore, les historiens débattent de la confession de Philippe, suite à ce témoigne d’Eusèbe de Césarée :

“On rapporte qu’il aurait souhaité faire acte de Chrétien et, le jour de la dernière vigile de Pâques, partager les prières de l’Église avec la foule des fidèles. Mais celui qui présidait alors la cérémonie ne lui permit pas d’entrer avant qu’il se soit confessé et qu’il se soit compté lui-même parmi ceux qui se reconnaissaient coupables et occupaient la place de pénitence. Car, s’il ne faisait pas cela, il ne le recevrait jamais, à cause des nombreux crimes qu’il avait commis. On dit qu’il obéit de bonne grâce à ces injonctions, manifestant par sa conduite une crainte de Dieu sincère et pieuse.”

En Arabie il existait à l’époque une importante communauté chrétienne, il est donc possible que Philippe ait pu être initié au christianisme à titre privé, même si on n’en aura probablement jamais la preuve incontestable.

Homme de bon goût, cet empereur a eu la bonne idée de faire embellir la Syrie, le Liban, notamment les cités de Bosra, d’Héliopolis et… Philippopolis. Philippe l’Arabe, comme on a commencé à l’appeler au IVe siècle, a ainsi contribué à léguer un magnifique héritage archéologique classé aujourd’hui Patrimoine de l’Humanité.

Le Philippeion à Philippopolis

Philippeion

Le temple de Bacchus à Héliopolis

Le temple de Bacchus

Lorqu’on étudie la société française actuelle dans les débats télévisés, il est amusant de constater combien les journalistes et l’opinion publique ont tendance à oublier que la France s’est ouverte au “métissage” bien avant le colonialisme du XIXe et XXe siècle. On met en avant les exploits sportifs de l’équipe nationale de football, multi-ethnique, alors que sur le plan culturel la Guadeloupe a offert à la France un personnage assez extraordinaire, qui a profondément marqué son époque : le chevalier Joseph Bologne de Saint-George.

Une jeunesse atypique

Monsieur_de_St-George

Natif de la Guadeloupe (1745?), le père de Joseph était semble-t-il un noble, Georges de Bologne de Saint George, qui aurait eu une aventure avec une esclave. En 1758, Georges décide d’enmener son fils en France, pour qu’il reçoive l’éducation d’un aristocrate… Il n’a que huit ans ! L’enfant grandit dans un pensionnat où il va apprendre comme les autres gentilshommes le maniement du fleuret. Son adresse sera telle qu’on dit de lui à quinze ans qu’il est “l’homme le plus qualifié dans le don des armes” ! Dès lors, Joseph accomplit une brillante carrière de militaire puisqu’on le retrouve comme écuyer en 1763, “conseiller du roi”. Comment un esclave pouvait-il devenir chevalier sous Louis XVI ? En fait, juridiquement Joseph n’était pas vraiment un esclave mais plutôt un “affranchi”, il disposait donc en théorie des mêmes droits qu’un homme libre même si sa mère était de condition servile… C’est ce relatif assouplissement de la loi (le “Code Noir”) qui lui permet de devenir commandant d’un régiment de cavalerie légère !

Un homme d’action

Le_Duel_Marion,_Eugène_de_Beaumont


Les historiens ne possèdent aucune certitude sur la possible participation de Joseph à la Guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Plus tard, lors de la Révolution française, on sait que  le chevalier reste fidèle à la royauté puisqu’il s’exile comme bon nombre de nobles en Angleterre. Mais avant la fin de la Révolution, il revient en France comme capitaine de la Garde Nationale, ce qui était bien évidemment un grand honneur. En 1792 est créée la “Légion Franche des Américains et du Midi”, qui allait rapidement devenir la “Légion de Saint-George”, une unité d’élite composée en partie de français de couleur (et dissoute seulement en…1995), autrement dit des métis. Joseph Bologne s’illustre en allant se battre contre les Autrichiens vers 1793, au moment où la France révolutionnaire est en guerre contre l’Europe monarchiste. Sous les ordres du chevalier, on trouve un jeune homme, un certain Alexandre Dumas, qui deviendra plus tard général, et dont le fils écrira les célèbres “Trois Mousquetaires” ! La carrière militaire du chevalier sera néanmoins compromise lorsqu’il sera suspecté d’aider les royalistes. Incarcéré sous la Terreur, il échappe néanmoins à la guillotine, puis finit par être libéré après avoir purgé un an de prison.

Un artiste d’exception

Fait remarquable, Saint-George mène en même temps que son métier des armes une carrière artistique de premier plan. Il est le fondateur du “Concert des Amateurs”, mais est surtout un artiste  complet, puisqu’il est violoniste, compositeur de sonates, de symphonies concertantes pour duo d’archets, de concertos, d’ariettes… Un véritable “homme des Lumières”, ouvert aux autres artistes, comme on le constate avec Michel-Pau Guy de Chabanon, un lettré qui joue du violon dans l’orchestre du chevalier. Saint-George est l’auteur d’une comédie, “Ernestine”, ainsi que d’une romance chantée, “L’autre jour sous l’ombrage”, des oeuvres qui connaîtront du vivant du compositeur un grand succès, fait rare pour un artiste de cette époque ! Saint-George sera plus tard évincé de la direction de l’Académie Royale de musique sans que nous puissions déterminer si ce fut un acte raciste, ou bien la conséquence d’une manipulation politique.

De la gloire au mythe

Lorsque Saint-George meurt en 1799, on assiste véritablement à la naissance d’une légende, qui se confond avec l’Histoire elle-même. Ainsi contrairement à ce qui véhicule le mythe romantique, le chevalier de Saint-George n’est pas mort dans l’anonymat puisque les journaux d’époque lui auraient rendu hommage. On raconte que Napoléon aurait fait brûlé ses oeuvres, mais peu-à-peu des partitions sont retrouvées, encore de nos jours. La vie de ce chevalier est source d’exagération : résistant contre six hommes lors d’une tentative d’assassinat au fleuret, certains écrivains lui prêtent même une aventure avec Marie-Antoinette à qui il aurait donné des cours de clavecin !
Enfin comment ne pas voir l’influence de ce destin hors-du-commun dans la rédaction des “Trois Mousquetaires”…
Mais au-delà des ces aventures romanesques, on ne peut pas mettre en doute le réel talent d’épéiste du chevalier, puisqu’encore aujourd’hui le nom du célèbre bretteur est cité dans les manuels d’escrime…

La vie Joseph Bologne de Saint George est hors-du-commun car c’est son génie, au fleuret ou à l’archet, qui l’a conduit à connaître une ascension sociale fulgurante. Bien avant que Nice ou la Corse ne deviennent des territoires français, un noir allait donner, c’est le cas de le dire, ses lettres de noblesse à la Guadeloupe.
Aujourd’hui l’histoire de Saint-George se conjugue avec sa légende, c’est le prix à payer pour avoir connu un destin extraordinaire.